ÉPICURE





Alfa Romeo Giulia : le plaisir reconquiert la route

septembre 2017


J’ai la chance de ne pas avoir d’automobile …
La chance parce qu’ainsi je peux en louer, découvrir divers modèles allant de l’utilitaire (promis, je vous ferai un banc d’essai comparé des 6m3 Vito, Scudo, Trafic, Transporter et autres) aux beaux joujoux, Audi A6, 7 ou Q7, BMW séries 3, 4, 5 ou X, Mercedes E, quelques belles françaises et coréennes, mais aussi des petits cocons sympas, Fiat 500, Twingo ou Mini selon les besoins évidemment.

Ainsi de nombreux SUV ou berlines de diverses marques me sont passés entre les mains, et puisque mes « affaires » me mènent parfois en Allemagne, j’ai pu profiter de ces beaux engins en les libérant raisonnablement.

Je les apprécie plus ou moins, les véhicules de toutes gammes et marques évoluant sans cesse (je pratique ce petit jeu de la location spasmodique depuis plus de dix ans), je sais apprécier le confort princier d’une Audi A7, l’efficacité mesurée d’une TT, le côté toujours un peu plus joueur d’une BMW 535 ou X6, l’incroyable et géniale frivolité d’une Fiat 500 ou la rigueur nerveuse d’une Mini Cooper S etc…

Et puis récemment, la société de location m’a proposé une Alfa Roméo Giulia…

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J’avais déjà eu des 159, mais la limite de l’exercice est qu’évidemment on ne choisit pas toujours la motorisation ; or ne m’avaient été confiées que des petits moteurs à cette époque, sauf une Q4 rustique. J’ai donc dit oui par curiosité, mais en supposant qu’hélas, d’une Giulia je ne pourrais profiter que de la ligne superbe et du confort ou inconfort à comparer aux diverses A4 ou A6 ou série E déjà goûtées.

Dessin magnifique, galbé, tout est typé, les jantes taille basse donnent l’impression que l’obus frôle le sol, le museau agresse joliment, la silhouette souple l’assimile à un coupé, bref, l‘objet attire les regards sur les parkings.

Un coup d’œil au coffre. Il est… Minimal. Pas minuscule, mais d’un accès limité.

Premier contact avant de mettre le contact : l’habitacle paraît étroit.

Il apparaîtra que non puisque nous aurons l’occasion de faire un long voyage à trois adultes ni petits ni maigrichons où même le passager arrière ne trouvera rien à redire sauf regretter vaguement le trip en Mercedes GLE quelques mois plus tôt.

Toutefois, c’est plutôt une auto dans laquelle on « descend » car elle est particulièrement basse. C’en est même inquiétant et incite à faire particulièrement attention sur des routes bosselées ou lors des descentes en parking.

Trouver une position de conduite, dans les sièges fermes et enveloppants, grâce aux réglages électriques à mémoire est très rapide, ce qui n’est pas toujours le cas, voire utopique chez certaines stars où on ne stabilise jamais vraiment la position. Les réglages lombaires font un peu gadgets, pas très efficaces à l’arrivée.

La qualité de finition est en progrès très net et même si certains plastiques n’atteignent pas les standards haut-de-gamme allemand, l’assemblage n’a plus du tout le côté approximatif des 159 par exemple, dont je me souviens d’une version Q4 où des fils électriques pendouillaient sous le tableau de bord (et les transferts de ponts se ressentaient nettement comparée à une Quattro de l’époque).

Le dessin de la planche de bord, incurvé, en cuir tabac comme les sièges au logo incrusté dans l’appui-tête, troussé dans un élan de vague ascendante vers le tableau de bord sculpté à l’ancienne, les deux tunnels Alfa étant au rendez-vous, ne fait pas du tout regretter l’écran intégral de l’A4 ou la TT.

La dimension restreinte de l’écran GPS et celui tout petit de la caméra arrière un peu plus toutefois. D’autant qu’on ne voit pas grand-chose par la minuscule lunette arrière.

Les menus ne sont pas les plus intuitifs du segment, moins complets qu’une Audi, moins faciles qu’une BMW, mais pas plus compliqués non plus que sur une Mercedes. Et bien moins que sur une C5 nationale.

Le modèle qui m’a été confié n’est pas suréquipé (on prend vite goût à ce qu’on considère d’abord comme des gadgets sur les versions bien dotées) mais pas de manque flagrant non plus.

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Moteur.

Bouton de démarrage au volant. Amusant, mais pas si mal. Je m’apercevrai vite que je le recherche désormais sur mes allemandes de référence.

Mauvaise surprise : un peu comme sur les 4 cylindres Mercedes, on a vraiment la sensation d’un moteur de tracteur avec le borborygme du diesel à bas régime, quand même plus noble chez BMW.

Tant pis me dis-je, je vais voir au moins si elle est agréable à conduire.
Erreur de jugement, le fauve était tapi derrière le gargouillement. Car ce moteur (je comprendrai que c’est le 180 cv, pas de quoi pavoiser mais mieux que prévu) est diabolique, félin, souple et griffu ! Et le couple moteur/boite incroyablement énergique : ça pousse outrageusement, avec toutefois une progressivité telle qu’on ne se rend pas compte qu’il vaut mieux surveiller le compteur si on ne veut pas avoir de problème avec la maréchaussée.

Tout se fait sur le couple, certes, la limite est repoussée loin cependant car l’accélération est constante sur toute la plage d’utilisation et sans avoir à passer par le mode « sport ».

Même en réglage « éco », la torpille latine est réglée pour réagir vivement en cas de sollicitation inopinée, ce qui est très sécurisant, contrairement au mode « veau gras » qui accompagne souvent l’option « éco » sur les teutonnes cossues. C’est d’autant plus étonnant que le bloc est d’origine VM et la boîte une ZF, mais clairement l’ensemble est réglé avec maestria. Une telle poussée avec un moulin de moins de 200 cv c’est prodigieux, la boite réagit idéalement, manifestant une singulière « compréhension » des conditions et attentes du chauffeur (fard ?), rendant assez peu utile le mode « sport ». Et enfin les palettes au volant sont utilisables spontanément, sans adaptation car, fixes et de grandes circonférences, elles sont très réactives d’un doux clic souple sous les doigts, et surtout naturellement utilisables en virage, d’autant que la direction est vraiment directe, d’une précision unique (pour ce segment en tout cas) demandant quand même qu’on reste concentré.

Les sécurités actives sont bien pensées, le grondement rauque avertissant que vous sortez de la voie balisée assez amusant mais finalement efficace (sans le contrôle actif du véhicule toutefois) et aisément débrayable, le maintien à distance de la voiture frontale pas trop invasif, facile à régler depuis le volant, et seuls quelques forts ralentissements intempestifs parce qu’on ne s’est pas assez dégagé en doublant, agacent un peu, apprenant à anticiper copieusement les manœuvres.

Passé prendre un collègue pour une première partie de voyage sur des petites routes, je retrouverai des sensations disparues depuis longtemps, efficacité liée à un ressenti précis de la route, sans nuire au confort toutefois, un dosage parfait de ce point de vue, avec une manière d’enrouler les virages, réagir au freinage, tenir impeccablement des trajectoires vicelardes sans jamais refuser de piquer dans les courbes pour systématiquement laisser l’arrière se recaler librement qui évoque les bons côtés d’une propulsion d’antan, Porsche incluses à l’époque où ce nom avait du sens.

« Normal » me dit mon collègue, celui qui s’y connaît en bagnole : « C’EST une propulsion ».

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Ah ben oui, évidemment. Et visiblement, c’est une voiture légère (mon collègue confirme) parce que telle précision, telle virtuosité ne tiennent évidemment pas qu’à la propulsion, ce petit bonheur viscéral immédiat, façon karting, me rappelle quelques bonheurs sensuels (et féminins) qui me font me rendre compte que je suis resté très très con côté bagnole. Soit. Mais vivant. Et gourmand. Et avide de sensations sans l’aseptisation.

Si la suspension est un peu ferme, la Giulia pour autant ne cahote pas, ne se dandine pas, ne glisse pas sur les bosses, vire idéalement à plat avec parfois un rappel un peu sec (et surprenant) de l’arrière quand il se remet en trajectoire suite par exemple à une sortie un peu vigoureuse d’un rondpoint. Au chapitre des petites réactions désagréables, les manœuvres en parking (donc quasiment à l’arrêt) amènent des réactions du train avant à l’ancienne, ne semblant guère apprécier le presque sur place, grognement et légers à coup remontent via la colonne de direction.

Sur des petites routes de campagne l’ensemble châssis/moteur/boîte est un régal, en « manuel » ou en auto mode « normal » où, mieux que sur la plupart de ses consœurs, Giulia semble « analyser » le rythme de conduite voulu, et à ce propos, l’utilisation des palettes est d’autant plus agréable que, en « auto », le retour au mode automatique semble prendre en compte des paramètres humains car il n’est jamais intempestif (comme chronométré (Audi)) ou aléatoire (Mercedes) et englobera une succession de virages avant de reprendre la main par exemple.

Sur l’autoroute (où un troisième larron, au sortir d’un profond sommeil dans la nuit lumineuse, marmonne : « tiens, on est déjà en Allemagne », lorgnant sur l’indication GPS du Coyote à 225 km/h, avec de la réserve sous le pied), le joujou se révèle d’une stabilité exemplaire, alignant les trajectoires au cordeau, sous une sensation de rigueur relaxante et une linéarité des reprises ou accélérations contraignant à une surveillance accrue du tachymètre car on ne se rend absolument pas compte de la prise de vitesse, le filtrage moteur étant en outre excellent, ajouté aussi au fait que le bloc ne travaille qu’en couple (2000 tours à 195, de mémoire). Le freinage est à la hauteur, et ni le lâché de la pédale d’accélérateur ni le freinage d’urgence n’engendrent la moindre dérive. La vigilance est de mise toutefois, car si la voiture ne dévie jamais de sa trajectoire, le moindre faux-pas sur le volant entraîne une rapide mise en abîme.

Pas plus mal car cette voiture n’est jamais fatigante tout en requérant de rester concentré, elle incite moins que d’autres à piquer du nez au volant, même en usage courant à 130 km/h rivés par le régulateur, soit dit en passant pas le plus stable du monde en mode « éco » et même « normal » : attention aux portions de routes descendantes qui peuvent engendrer un dépassement intempestif de la vitesse autorisée.

Doubler en toute sécurité est enfantin n’importe où et dans n’importe quelle circonstance, sans la lenteur de réaction de boite de quelques références de divers segments pourtant réputées, notamment en mode « éco » et on peut donc se faire plaisir sans affoler les radars ou les concitoyens inquiets.

Le mode « sport » n’apporte guère au divertissement, les changements de rapport étant au contraire plus paresseux à haut régime, sauf sans doute de consommer davantage.

Puisqu’on parle de consommation, sur un parcours de quelques milliers de kilomètres dont une partie à « amuser » un peu le missile, on tourne autour des 7 l/100, et semble-t-il sur une conduite pondérée en France, on descendra vers 6.3 l/100 avec une grande proportion d’autoroute à 130 km/h. Pas la plus économe, mais rien d’inquiétant non plus rapporté au facteur plaisir.

Ca faisait longtemps que je n’avais pas eu l’idée d’acheter une automobile, et les qualités sereines ou austères de nombreuses divas allemandes, A4, 6 ou 7, BMW 4 ou 530 à 35, Classe E me rendaient plus ou moins admiratif d’une rassurante progression sur de nombreux critères de confort, sécurité, prise en charge, efficacité, consommation, mais sans pousser à l’envie.

Avec la Giulia et le retour aux fondamentaux du pilotage assistés par la modernité du châssis, je me tâte !

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