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par LeBeauSon - Août 2020


Tout ça pour dire que mes repères de langueur affective, qu’ils aient balisé des étapes d’apprentissage, des fascinations d’adolescent, des points d’ancrage de ma propre histoire et envies, n’auraient guère de chance – à une poignée d’exceptions près – au casting de mes attentes de mélomane, sauf à chercher une couleur sonore particulière attachée à un disque précis, relevant davantage là encore du romantisme que de la musique.

Je me souviens des moments que l’on passait assis par terre dans la minuscule chambre mansardée d’un pote de mon frangin à écouter sur un système Pioneer avec les joues en bois et enceintes trapues aux façades en treillis, Led Zep ou Deep Purple, Ten Years After et Janis Joplin ; ou dans la chambre (passée avec le temps et l’ascension sociale de nos hôtes d’un trou de souris où nous dissimulions les nuits blanches à un grenier gigantesque où nous étions autonomes) du fils d’amis de mes parents à découvrir Miles Davis, Yes, Uriah Heep, Jimy Hendrix, Alan Stivell, Rory Gallagher ou Earth Wind and Fire sur une chaîne Grundig, mais aussi de la musique concrète diffusée en nocturne pendant des heures par France Musique, absorbés dans les ténèbres soudain fantastiques ; chez d’autres c’était Anthony Braxton et Jan Garbarek ; Coltrane et Billie Holiday sur la chaîne (un ampli-tuner Telefunken !) des parents d’une petite copine ; jusqu’à ce que, avec mon maigre argent de poche, je commence à bâtir mon propre univers. Le grand pas est sans doute venu d’un ami, plus âgé que moi, plus grand frère corse que mon grand frère, qui, jeune adolescent, m’a initié à trois béguins : la science-fiction (au milieu d’une curiosité littéraire déjà bien implantée), la musique « classique » et les bagnoles. Et un surnuméraire, hélas : l’amour des femmes inaccessibles.

J’ai en mémoire du cœur les particularités sonores de chacun de ces systèmes et, bien entendu, quelques disques ne retrouveront jamais la magie enchanteresse d’alors ; ceci dit, j’en écoute encore la plupart et ai compris avec le temps et des meilleurs systèmes tout ce qui m’avait échappé du talent (ou manque de talent ou talent précaire) des artistes que je découvrais ; et si j’aimerais revivre certains de ces instants, à aucun moment ne me viendrait à l’esprit de vouloir recomposer les chaînes qui en ont bâti l’évanescence.

Très jeune, j’ai commencé à parcourir les magasins de haute-fidélité ; je n’avais pas les moyens d’acheter ces objets mirobolants, mais ça n’empêchait pas de découvrir, de fureter et surtout de concevoir puisque, ma première chaîne, nous l’avons édifiée à trois, mon père bricoleur de génie, mon frérot apprenti électronicien et moi apprenti sorcier.

Un jour, je devais avoir 14/15 ans, l’ami littéraire et moi avons entrepris de rapporter une enceinte Altec « Voix du Théâtre » des années 50 (pour l’anecdote : la première importée en France) depuis le cinéma de son père un jour de fermeture jusqu’à leur grand salon, l’avons posée à côté du Gaveau, bricolé un branchement sur une platine vinyle Garrard et un ampli Dynaco (je crois) rapporté du cinéma aussi. Je me souviens du premier disque : Petrouchka (version 1947) par Alain Lombard, chez Erato.

Quel choc ! Nonobstant des défauts flagrants, coloration, résonances de caisses et autres incongruités, quelle leçon, quelle illumination soudaine qui ont imprimé à vie ma profonde méfiance de la haute-fidélité, y compris haut-de-gamme qu’on allait écouter dans les plus prestigieux magasins ou sur les salons parisiens alors bien plus intéressants que maintenant, notamment la « Grande Messe » du Palais des Congrès.

J’avais découvert l’expressivité : les sensations d’une connexion organique à la musique pure. Et sans aucun rapport avec la sono des concerts. C’est paradoxalement à ce moment-là que j’ai décidé de tout faire, à commencer naïvement par créer des contacts, faute d’argent, pour assister à des concerts classiques et jazz.

Il y avait pourtant chez cet ami une belle chaîne réputée et coûteuse (et une belle collection de disques), mais après avoir vécu ce moment volé, comment retourner à ce qui était déjà la banalité de la hifi ? Tous deux en avons souffert.

Puis la Maison de l’Audiophile a nourri mes interrogations, temple de rencontres diverses avec des frappadingues sympas (incluant l’homme malin qui allait créer Focal et le rédacteur mondialement ovationné de si nombreuses revues hifi) dont il ne fallait pas longtemps pour comprendre que la majorité aimait énormément le son, nettement moins la musique, sorte de mal nécessaire pour alimenter leur frénésie de perfection ou délires électroacoustiques… Quelques moments d’écoute mémorables au milieu de tant d’approximations : oui, les Onken ou Goto procurent des sensations quasi-introuvables de nos jours.

Mais on était déjà dans la marginalité et beaucoup des combinaisons, bricolages ou mélomélies proposés par les zélateurs d’alors sont objectivement inécoutables, alors que leurs propriétaires s’en gargarisent encore.

Je repense avec tendresse aux balbutiements du câble dans ces cercles, parmi lesquels le Leonische qui était quand même un gag.

Tiens, puisque j’ai glissé vers le sujet des câbles : lors des travaux d’installation d’un grand studio d’enregistrement ambitieux dans les années 80, techniquement à la pointe, avait été décidé de le câbler intégralement en Mogami. Ça veut dire des milliers de mètres dans les murs, le plafond, les sols. Il a fallu tout démonter tant le son était dur !

On parle aussi des premiers câbles MIT ? Non, hein…

 

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A côté de diverses considérations un tantinet goguenardes, il y a des aspects du sujet « Vintage » qui ne se discutent pas. Je comprends que ceux qui fabriquent leurs amplis ou enceintes en s’inspirant de tel ou tel fantasme considèrent que leurs « progénitures » sont championnes du monde.

En revanche, la même autosatisfaction est hélas aussi vraie pour tant de professionnels de la haute-fidélité qui ne se comparent qu’au voisin le plus proche.

Alors qu’il convient de ne jamais oublier que « faire » ne signifie pas « réussir ».

Je sais qu’une bonne partie de l’art contemporain tend à prouver le contraire : l’acte est plus important que le l’aboutissement. Mais la haute-fidélité n’est pas un art ! Elle peut tenir au talent, soit, mais elle n’est pas un art.

Toutes proportions gardées, on comprend qu’un fondu d’autos chérisse sa Jaguar Type E Série 1 « British Racing Green » : le plaisir tient au mythe, à la valeur historique de la bagnole ; parce que côté confort de conduite, au bout d’un quart d’heure à rythme soutenu, il fait 40° dans l’habitacle et, à moins d’avoir les bras (mais pas le gabarit, ça rentre pas) de Dwayne Johnson, on est perclus de crampes, et on se fait doubler dans le premier virage par une Alpine A110 pilotée approximativement par un gamin. Et je suis gentil quand je dis une Alpine.

Or, dans la haute-fidélité de papa, combien de Type E ? Si on ramène la passion de collectionneur à une Renault Fuego, soudainement la flamme du vintage devient moins universellement compréhensible.

Ne rêvez pas, la grande majorité des appareils d’antan…

… Au fait : où commence et où se termine « antan » ? Je vous l’accorde, la frontière est floue. Mais les plus belles frontières sont floues :

«…  Amour amitié

Je ne sais pas si par dépit ou par pitié

Je franchirai cet océan

Qui va de l'ami à l’amant…»*

 

… ne rêvez pas, disais-je, la grande majorité des appareils d’antan tenait plus de la Citroën Ami 6 que d’une Facel Vega. Et, comme vous l’avez compris, une Facel Vega ou une Jaguar Type E c’est un plaisir ciblé, en sachant qu’une Audi un peu musclée (et encore) ou une Alfa Roméo Giulia diesel de 180 CV leur mettront une tannée sur route ou circuit.

Maintenant la comparaison s’arrête là : au moins, au volant de la Mustang GT Fastback 68 de Bullitt, ou d’une vieille 911 SC, on avait des sensations, du ressenti, un échange physique (incluant le dos en compote) avec la mécanique, la route, la vie, ne serait-ce parce que, en gros, c’est la voiture qui dictait la trajectoire, et la conduite sportive relevait de la négociation.

Toutes valeurs aseptisées par une Merco toute neuve ou une berline BMW (et ce ne sont pas les pires).

La hifi moderne ne peut certainement pas se vanter majoritairement de ce que la technologie a apporté aux automobiles : confort, sécurité, efficacité, rendement, certes au détriment des sensations.

Les sensations qu’apporte la hifi moderne tient plus du spectaculaire et du trucage que de la sensibilité.

Alors, c’était mieux avant ?

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 * Pierre Vassiliu

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