SÉLECTION DE DISQUES





Johannes Moser

Johannes Moser - Lutosławski & Dutilleux : Concertos pour Violoncelle
Berlin Radio Symphony Orchestra dirigé par Thomas Søndergård

Parution chez PentaTone le 2 novembre 2018 - Genre : Classique - Musique contemporaine


Le couplage au disque de ces deux concertos contemporains parmi les plus célèbres reprend celui souvent considéré comme référent enregistré par Rostropovitch avec Witold Lutosławski pour le premier et Serge Baudo pour le second, avec l’Orchestre de Paris en 1974, publié par EMI.

Si le Dutilleux est souvent proposé et semble même un passage nécessaire dans la discographie de tout grand violoncelliste, le Lutosławski est quand même plus rare au disque et je n’en connais pas (mais j’en connais peu) qui viennent bousculer le roi Rostro.

Commençons par le Dutilleux : la version de Moser joue plus du contraste que de la demi-teinte ; à la rondeur voluptueuse de Rostro qui crée des variations d’amplitude majestueuses contribuant à un généreux lyrisme, le Germano-Canadien, plus impérieux, oppose un son subtil au boisé fin et met sa virtuosité implacable au service d’une rigueur rythmique sans faille, ne cherchant pas vraiment du côté des paysages oniriques mais plutôt d’une abstraction rigoureuse. Une autre appréhension de « tout un monde lointain ».

Le Dutilleux par Moser / Søndergård ne bouleverse pas la discographie sans pour autant démériter, loin s’en faut, car on ne s’ennuie pas une seconde et, là où d’autres s’égarent parfois, le challenger nous tient toujours la main en passant parfois par des chemins surprenants …

J’apprécie cependant plus grandement leur proposition du Lutosławski.

Eliminons immédiatement la comparaison avec Rostro, de toute façon légitimée par la direction de Lutosławski qui, ne l’oublions pas, a aussi écrit l’œuvre à la demande du grand Mstislav. Rostro est emphatique et les variations de couleurs des cuivres gravent de profonds reliefs dans les matières, ensemble parfaitement soutenu par une prise de son remarquable notamment pour respecter la chaleur caractéristique du violoncelle d’une plénitude incomparable (est-ce déjà le « Duport ?). Le final est splendide, imprégné d’une âme slave possiblement inimitable, mais pourtant encore un rien romantique. En effet, et curieusement, la version Rostro / Lutosławski est imprégnée d’une réelle beauté « plastique ». Curieusement, parce que la version Moser / Søndergård nous en débarrasse totalement procurant une « nouvelle » modernité à l’œuvre écrite en 70 mais qui ici se rapproche de l’univers de Ligeti.

La lecture de Moser est donc au moins aussi intéressante et transpose l’œuvre vers un autre univers, sévère, plus « contemporain » sans pour autant basculer dans l’ascèse, ni l’évocation au premier degré et encore moins l’encodage lourdaud d’une vision raccourcie de la musique contemporaine.

Sa lecture métronomique (le premier mouvement détermine le ton d’un mystère crispé dès la première mesure), entrecoupée de passages d’une grande liberté sous un équivoque contrôle de fer, installe une tension épuisante qui conduit, dans un climat angoissant, quasi oppressant et sans la moindre baisse de tension, jusqu’à un éblouissant final où la vigueur de l’orchestre implante une pression nerveuse maximale par des éclats qui ne sont qu’aboiements féroces, coups de scie… au dépend peut-être des nuances de timbres ou perspectives internes…

La longue ascension annonçant la coda est acérée comme un sabre pour un paroxysme d’angoisse quasi douloureux, contradictoirement organique dans une prison de cristal, terrifiante intensité à peine fendillée de fines brisures, là encore parfaitement sous contrôle, d’où le violoncelle sort comme survivant d’un conflit permanent qui semble marquer ce concerto où clairement l’orchestre n’est pas écrin, mais ennemi…

C’est d’autant plus bizarre qu’on pourrait estimer que, dans le cadre conflictuel, Moser aurait pu scénariser un portrait de Werther (Goethe pour les iconoclastes) face à l’armée sardonique qui l’encercle et le combat, mais non, il maintient une posture héroïque, imposant une rythmique impeccable, qu’elle soit mécanique parfois ou plus dansante d’autres fois, ornée de quelques sourires ou espiègleries tout au plus : l’élan résolu mais jamais martial imprimé dès les premières mesures ne faiblit jamais, là où d’autres choisissent d’apaiser le propos dans les mouvements intermédiaires, notamment la Cantilène, pour mieux mettre en scène le final.

Face à l’âpreté dudit final débitée par Poltera ou l’ampleur ornementée par Mørk par exemple, l’option de Moser construit une tragédie distanciée, teintée d’ironie (Ligeti disais-je) qui refuse tout contraste facile au profit d’une implication fébrile totale sans relâchement.

On pourrait, à me lire, supposer une froideur globale. Pas du tout : Moser tire de son violoncelle de superbes sonorités, couleurs, nuances qui enrichissent la maîtrise volontaire, engagée, du jeu et humanise les élans du soliste s’opposant à la pression « mécanique » de l’orchestre, lequel assène par ailleurs une mise en place inexorable…

Captation remarquable, disponible en HR sur Qobuz, où la profondeur des silences rend les climax des cuivres d’autant plus éclatants.

 

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