à l’oreille





ADA 3

ADA de ppfff : phénomène d'expressivité !

LeBeauSon - Mars 2020


Même sans être lecteur de longue date du site (qui ne date guère de toute façon), vous aurez sans doute compris notre attachement pour au moins deux des réalisations de la marque française ppfff à savoir Ada et Ava.

Elles sont présentes dans la quasi-totalité de nos tests comme enceintes repères pour jauger des électroniques haut-de-gamme.

Donc, vous aurez le droit d’estimer que, réaliser un BE d’objets fétiches voire militants, c’est être juge et parti.

Et alors ?
Est-on nécessairement aveugle aux défauts de celle ou celui dont on partage la vie ?
Ne serons-nous pas plus conscients encore des limites ou particularités de ce que nous adorons ? Vous jugerez en fin de lecture si nous avons ou non su éviter le panégyrique…


Alors Ada, qu’est-ce que c’est ?

Pardon ?


Ah oui : ppfff qu’est-ce que c’est ?

 

Un fabricant français, qui prend ses marques doucement, pas pressé, ou plus exactement ne voulant pas mélanger impatience et précipitation. La vocation est clairement revendiquée : offrir un maximum d’expressivité proche de ce qu’on peut obtenir de quelques volumineux systèmes à pavillons mais dans un volume « domestique » et avec une homogénéité plus grande. Cette recherche - avec ce que cela suppose d’intransigeance - plaçant les produits dans une marge, sorte de niche dans la niche de la haute-fidélité majoritaire (qui favorise l’effet contournant une vérité souvent dérangeante), contraint évidemment à un lent travail qui ressort quasiment de l’évangélisation, pas tant au niveau du client final, il en existe beaucoup pour apprécier cette approche résolument vouée à la musique, mais de ceux qui vont accepter d’assurer le relais nécessaire d’une démo hors cadre… Ou au contraire trop cadrée.

Deux gammes au catalogue, une visant au prestige appelée Parangon, et l’autre plus dépouillée pour convaincre un public plus large et moins fortuné : Egérie.

ADA 2


Ada
est la première enceinte de la gamme Egérie composée de 3 modèles. Alors Ada, qu’est-ce que c’est ?

Ah, c’est le moment, non ?


Ada est une colonne déjà de bonne taille (106 x 23 x 42 pour 42 kgs) dont les dimensions sont imposées par la charge et la particularité de flancs encadrant l’enceinte liée à une technique d’assemblage très particulière, visant à neutraliser les vibrations mécaniques de l’ensemble.

Façade en tissus noir et tranche noir mat sont référents, mais les flancs peuvent être proposés dans des teintes RAL. La couleur de base étant un blanc brillant.

Deux haut-parleurs équipent chaque enceinte qui pourtant électriquement n’est pas réellement une deux voies puisque le haut-parleur principal n’est pas filtré. Il s’agit d’un 21 cm à moteur Neodynium, fabriqué en Allemagne. L’équipage mobile dont la bobine est de faible diamètre (25 mm) fait l’objet d’un traitement spécifique. Sa bande passante très étendue et dont l’affaiblissement en énergie est très régulier permet l’utilisation d’un tweeter non pas en relais mais en support énergétique très haut dans le spectre. Raison pour laquelle une des caractéristiques majeures qui a dicté le choix du tweeter à compression est sa courbe de directivité de façon à éviter des ruptures de lobes entre les deux HP (je sais, je sais, c’est limpide comme un poème de Boris Bergman pour Bashung). Le passe haut est d’une simplicité biblique. Composants et connectique de haut vol, câblage interne réalisé par Absolue Créations sur la base de l’Ul-tim.

La charge ressemble à un TQWT, mais pas vraiment non plus… L’accord n’est pas celui d’un TQWT. Pour maitriser les aspects vibratoires de la charge, l’emploi de matériaux alternés (5 ?), de collages spécifiques, de transferts de masse rendent la construction de l’objet bien plus compliquée et élaborée que l’apparence simple le laisse deviner. Le cache n’est pas démontable précisément parce qu’il entre en jeu dans les rapports de masse. Mécaniquement, les flancs ne « voient » pas le reste de la structure mais leur poids est accordé.

Oui, bon, on s’en moque en même temps.

Simplement pour dire que la technologie se cache parfois où on ne l’attend pas !

Le prix indicatif : à partir de 13 860 € la paire.

Petite particularité un peu surprenante à l’arrière de l’enceinte : 3 borniers au lieu de 2 ou 4. Un « moins » et deux « plus ». L’explication tient au fait que la charge tient si fermement le haut-parleur principal que l’utilisation de Ada avec des amplis à fort taux d’amortissement et/ou fort taux de contreréaction amène à une sur-tenue qui rend l’écoute fade. A donc été prévue une prise supplémentaire qui renvoie vers une extension du filtre pour désamortir l’ensemble. Ça paraît absurde, mais ça fonctionne !

Par exemple pour les tests : Kondo Overture et Tsakiridis Aeolos Ultra livrent tout leur potentiel sur l’entrée LDF (low damping factor) là où les Grandinote ou Atoll (et d’autres appareils de passages) chantent plus librement sur HDF. Comme quoi la contreréaction n’est pas le seul facteur.

ADA et soeur AVA

ADA et sa grande soeur AVA

 

 

RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL

Florilège ? Moisson ? Incandescence ?

Aïe, ça commence mal…

Mais qu’est-ce qu’on y peut, c’est le cas…

En comparaison, à peu près tout ce que nous avons écouté paraît gris.

Allez, soyez rassuré, le tableau n’est pas idyllique non plus…

Commençons par un exercice aussi difficile qu’amusant : El sombrero de tres picos, Manuel de Falla dans la toute fraîche version de Pablo Heras-Casado chez Harmonia Mundi : le Mahler Chamber Orchestra exécute une démonstration éblouissante dont Ada éclaire tous les axes, roueries ou symboles, révélant au passage que l’orchestre comme l’interprétation – nonobstant un enthousiasme de poussins pépiant devant un seau de graines - sonnent aussi espagnols qu’une symphonie de Sibelius

Liberté et respiration sont des modèles du genre et bien que l’interprétation ne soit pas forcément très inspirée ou alors avant tout destinée à fourbir une vitrine lumineuse à un orchestre survolté, d’une précision renvoyant l’horlogerie suisse à l’invention de la roue et la palette de Gen Paul aux premiers essais du Secam par l’ORTF, la matité de Ada renseigne copieusement en maintenant une densité constante la flamboyance des couleurs de chaque pupitre, chaque musicien dans toute leur ardeur surexposée par les choix abrupts de Heras-Casado. Rutilantes, ardentes, la fulgurance des attaques surprend par la nervosité, la tension, l’aplomb mais aussi parfois le moelleux, idéalement retranscrits par Ada en verve et en joie.

Beaucoup d’air autour des instruments, une vivacité débridée cisèle une pétulance et une vitalité hallucinantes à cet opus ; on détecte quelquefois à niveau (très) élevé des petites « scories », infime mise en avant de concises zones dynamiques, possiblement dues à l’absence totale de filtrage du transducteur principal ne cachant rien de sa fin de bande…

Le bonheur des timbres est soutenu par un sens des matières et des morphologies d’une précision rare qui gomme tout doute, dans l’intensité ingambe de l’interprétation, sur qui fait quoi, où et à quel moment.

Ce rapport direct à la matière et, mieux encore, au grain des instruments ou sources sonores, est probablement une des caractéristiques les plus notables de l’enceinte ppfff qui d’emblée en fait un objet à part.

On le distinguera facilement de la notion de « corps » grâce à la lugubre Symphonie n°13 de Chostakovitch dans la récente livrée de Michael Sanderling avec l’historique Philharmonique de Dresde où la prise de son épaisse sort parfois mal de certaines combinaisons hifi, alors que, au sein de cette pesante pression, Ada rend hommage, précisément par le décryptage « physique » des matières, à une phalange marmoréenne qui propose un moelleux de chaque pupitre charriant un passé musical empreint de solennité. Nous n’avons pas pu nous empêcher de comparer le 3ème mouvement à la version de Haitink avec le Concertgebouw. Le jeune Sanderling, avec un orchestre pourtant somptueux, n’atteint quand même pas la gravité, le mystère et surtout la puissance poignante lors du climax final. De même, Mikhail Petrenko ne porte pas la grâce douloureuse de Marius Rintzler.

Le violoncelle d’Arne Deforce nous proposant un Jonathan Harvey (« curve with plateaux for cello solo », label Megadisc) ébouriffant de teintes et effets, illustre parfaitement la connexion directe à la moindre liaison tactile à l’instrument, grain de l’archet sur les cordes, résonnances du manche et du corps sous la vibration de la corde, réverbérations détorses du boisé, hélas aussi accompagnés de quelques instants de captation engendrant quelques toniques moins agréables que Ada ne pardonne pas.

Le piano de Volodos (Brahms) impressionne par un onirisme aquarelliste d’une délicatesse et concentration que Ada adore particulièrement, révélant le « spectre » chromatique soignée de l’artiste russe.

Ada a la particularité de pouvoir rendre plus intéressante des musiques banales par un respect supérieur des couleurs et intentions. Ainsi sur l’anecdotique Mad World revisité par Jasmine Thompson, quelques frissons délicieux enrichissent le timbre adolescent de la jeune fille facilement escamoté par son excès de chuintements emphatiques supposés sensuels. Jusqu’au piano qui, s’il ne raconte pas grand-chose, est soudain plus contrasté, plus florissant en couleurs, en intention, en élégantes variations.

Et sur le délicieux, inventif et bondissant album « A Mouthful » par The Do, c’est un festival de mignardises sublimes qui pétillent dans la pièce, accordant une importance égale à chaque virgule d’idée, chaque ponctuation de sourire, chaque clin d’œil de ce superbe disque plus que surprenant !

Là aussi on note des subtils resserrements de timbres sur les éclats forts, difficiles à identifier ou vérifier, tant ils dépendent des appareils et câbles en amont, sorte de fugaces irrégularités qui pourraient s’apparenter à des duretés sans jamais en être. Il n’y a que moi que ça semble déranger cependant.

 

A ce propos, Ada est impitoyable et même en utilisant la possibilité de deux entrées (LDF ou HDF), elle va anéantir facilement la prétention de quelques ténors de l’électronique en soulignant leur banalité dès lors qu’on ne les fait pas patater pour affirmer leur douteuse virilité. Or, faire papater sur 95 dB de rendement, c’est vite casse-oreilles.

Nous pointons là une des limites de l’exercice : aucune bienveillance à attendre de cette enceinte qui devient facilement totalement ennuyeuse, grise dès lors que l’ampli n’exprime aucune vitalité autre que démonstrative. C’est d’autant plus déconcertant que parfois, le même ampli peut se révéler correct (pas génial non plus) sur des enceintes moins cruelles, plus mainstream.

Aucune pitié non plus pour des réalisations musicales compressées ou mal ficelées. Cependant, et c’est un point que je développerai dans une rubrique ultérieure, Ada a la capacité, même sur la production la plus médiocre qui soit, à révéler le talent, l’engagement des baladins, poètes ou performeurs, faisant fi de la technique sonore pour sonder le cœur de l’achèvement artistique. Bon soit : si l’artiste est mauvais, rien ne viendra le secourir.

Cette absence de concession tient aussi à l’équilibre tonal plutôt dégraissé de l’enceinte. Pas une once de facilité arrangeante dans le bas du spectre alors que, étonnamment pour ce « type » de charge, l’enceinte sait descendre très bas en fréquence comme on pourra le vérifier à l’écoute de « Running Wild » (Tricky et Mina Rose), où le très beau développement de l’ambiance dans l’infra est résolument limpide, lisible, jusque dans la cave de l’immeuble, avec, sur certaines notes de l’infra, une épisodique élasticité simplificatrice. La voix de Mina Rose confine au divin et les arrangements de Tricky, sur un album par ailleurs inégal (ununiform), sont pure beauté.

Pour vérifier un petit questionnement, on pourra avoir l’impression que la linéarité n’est pas impeccable sur les notes les plus graves de la contrebasse de Gabin Lauridon dans le Carnaval des Animaux (par Gennadi Rozhdestvensky), uniquement en comparaison avec une autre enceinte ppfff, (prototype Eliza de passage dans l’auditorium, exagérément sévère en l’état : aucun refuge pour l’esprit, submergé d’informations, c’est incontestablement juste, mais déroutant), pas tant dans la déclinaison des notes que parfois un léger flottement de consistance sur certaines. Certes à un degré d’excellence qui nous rend plus intransigeant que pour l’ensemble de nos tests, car c’est un passage réellement coriace pour la quasi-totalité des enceintes passées entre nos oreilles depuis des décennies. Par ailleurs on profite allègrement via Ada du frottement guttural de l’archet sur les cordes, du boisé de la contrebasse prise de très près et pour le reste de l’opus on ne déguste que délice vertueux, entre des pianos vétilleux aux couleurs hétérogènes, un celesta sublime et dont les dimensions ne varient pas avec la hauteur de note, des violons chicaniers à souhait dans les Personnages à longues oreilles

Sur un archi-standard tel que Echoes de Pink Floyd on vérifiera ce que Ada peut apporter en couleurs dans le bas du spectre, contournant les soupçons d’irrégularité par une élocution supérieure : les timbres en effet révèlent des idées et des nuances de mixage possiblement jamais perçues, sans doute au détriment de la rondeur enrobante de la ligne de basse par exemple. Et sur un instant aussi voluptueux que Royals de Lorde, on bénéficie du développement en profondeur des effets complexes de la ligne basse, ainsi, bien évidemment, que de la sensualité ironique de l’australienne qui apparaît manifestement à travers la prolixe finesse d’articulations que Ada détricote harmonieusement, soulignant en parallèle la souplesse chaude de la voix unique de la jeune femme.

Des passages moins aboutis techniquement, ou plus fouillis, ou d’une autre époque, démontrent que le dégraissage décortiqué et l’abondance générale déstabilisent ; ainsi en écoutant Faithfull (Album Yield) de Pearl Jam, on pourra être frustré par la disparition d’un faux gros son racoleur qui gave la pièce au détriment d’une intelligibilité des échanges guitare / basse / batterie qui laissent pantois sur Ada révélant à n’en pas douter aux spécialistes les têtes d’ampli utilisées, les effets ou autres marques et modèles d’instruments. Et quelle vie dans la grimpée de ferveur nerveuse qui structure la trame de la piste, quel swing en dépit d’un batteur pas très en place et d’un bassiste pas génialement virtuose ! Ah oui, euh non, c’est pas la bonne rubrique…

L’équilibre tonal, soit, peut surprendre, voire déplaire, essentiellement je crois parce qu’on a trop souvent perdu l’habitude d’un tel foisonnement d’informations dans le « médium » au sens large et cette profusion incessante peut donner l’impression d’un manque de grave à certains, alors qu’en vérité non. Pour autant, Ada ne cherche pas le compromis : ce n’est pas une enceinte de la plénitude factice ou opulence rondouillarde, mais bel et bien de la rigueur, de la vérité sans filtre.

Ada propose une autre façon d’écouter la musique, qui fait la part belle à l’histoire, mais rejette la paresse ou le confort.

Sauf à considérer (comme moi ; nous ?) que respecter l’humain relève d’un vrai confort.

Autre point à souligner : soit on confiera Ada à un ensemble qui délivre du corps à bas niveau, soit on devra monter un peu le volume pour profiter de l’homogénéité spectrale de l’enceinte. En revanche, Ada respectant mieux l’exacte dynamique des opus que la plupart, elle est aussi remarquable par sa propension à conserver la densité organique des instruments même sur les passages confinant aux murmures.

DIAMs 5 OR

 

SCÈNE SONORE

Plus que beaucoup, Ada demande un placement rigoureux dans la pièce. Si elle ne craint pas les murs arrière, il faudra particulièrement veiller à la précision du rapport pincement / écartement.

Auquel cas, les scènes sonores sont un régal permanent, l’enceinte disparaissant totalement derrière le spectacle.

Aucun son de charge, tonique de caisse, de ce point de vue l’aboutissement technique fait ses preuves. Et un placement des musiciens cohérent, vivifiant et stable.

La très réussie « Salomé » de Daniele Gatti avec le Concertgebouw présente une leçon de scénographie (et de richesse orchestrale), les pupitres en profondeur, la cohérence dans le fatras de l’orchestration fébrile de Strauss nous conduisent directement dans la salle au 5ème ou 6ème rang… le final Salomé / Hérode est poignant, mystère exotique, cynisme et douleur sont paroxystiques.

La formation à géométrie variable de Giovanni Guidi rendant un hommage touchant à Leo Ferré, d’un abord simple pour s’enrichir subrepticement et offrir quelques remarquables idées harmoniques et stylistiques prend sa pleine lumière grâce à Ada qui respecte d’une part positionnement et dimensions de chacun en 3D mais dépasse ce stade pour évoquer les mouvements, les échanges de regard, la complicité qui en devient scénique, véritablement. Le phrasé original du pianiste italien atteint ici une gamme de nuances assez grandiose.

Cas de figure très différent en écoutant à niveau élevé Summer Eyes des Young Gods, où (ré)apparaîtront quelques instabilités dans une zone sensible haute, évidemment pas soulagées par une production maigre et pugnace, coincée dans un faible étau de dynamique. Ada ne cherche pas à arranger ce genre de mixage par un agrément dans le bas comme on l’a remarqué dans la rubrique « timbres », mais révèle en contrepartie toute la puissance rythmique, les idées, le groove, le balancement, et le rôle gravé par chaque intervenant sur cette plage improbable oscillant entre poésie lancinante et colère contenue, où la voix de Franz Treichler (comme l’arrangement de la première partie) évoque étrangement Jim Morrison tout en rendant un hommage évident dans la deuxième partie au Pink Floyd de « Echoes »... A niveau faible et surtout sur des amplis à fort taux d’amortissement, ce genre de disque sans dynamique devient vraiment efflanqué, même si la lisibilité est parfaite et la création d’un espace totalement artificiel d’une rare stabilité.

Ada ne fait vraiment pas de concession et c’est sans doute le revers de ses qualités.

Belle prise de possession de l’espace aussi, en dépit d’une captation « typée », par le Quatuor Végh qui nous a offert dans les années 70 une intégrale des quatuors de Beethoven qui, sur de nombreux plans artisitiques, reste une référence. On profite pleinement des inflexions sublimes, constamment en évolution, ou chaque instant fait l’objet d’une réflexion, d’un sens de la ponctuation, de l’accent, des couleurs qui sur Ada confinent au chef d’œuvre, alors que l’enregistrement est un peu acéré, pas vraiment boisé ; qu’importe, la scène stable et juste bénéficie à la lecture sans équivalent de cette vénérable formation, indissociable de l’expressivité supérieure, de la révélation du chromatisme d’une modernité absolue de l’écriture du Grand Sourd.

Même hyper précision de l’espace inventé par Christine (and the Queens) dans sa passablement ennuyeuse mais jolie revisite des « Paradis Perdus» (titre prémonitoire ?)… Les positionnements millimétrés des évènements sonores bien agencés mais pas très imaginatifs ne font hélas pas oublier l’indigence d’une production à la française que Ada dénonce cruellement, où chaque son semble isolé des autres, sans vraie pensée globale.

Contrairement au génial (je pèse mes mots) album de The Do, A Mouthful, où les idées se succèdent à un rythme effréné, toutes enchainées ou superposées dans une logique artistique au sommet, déferlant autour de mélodies frétillant des nuances d’interprétation de la surprenante Olivia Merilahti dont la voix pourrait être un supplice si dénuée d’un goût tel qu’on pourrait se contenter de piano / voix.

Ada, mieux que quiconque, révèle la structure mentale impeccable d’une production pourtant complexe et foisonnante, sans pardonner ou chercher à déguiser la maigreur de l’ensemble stabilisé dans 3 dB de dynamique, et dispose avec une ponctualité et un respect quasi-religieux la création bigarrée du très très inspiré Dan Levy…

DIAMs 5 OR

 

RÉALISME DES DÉTAILS

Commençons par une « tentative musicale » mixée dans le flou : l’album People are Strange de la mystérieuse Stina Nordenstam. A écouter l’univers brumeux et lointain de la jeune femme, il apparaît que la personne vraiment étrange, c’est elle.

Album composé de reprises (dont People are Strange, Purple Rain…), il est réalisé dans une atmosphère décalée, comme si on percevait les musiciens à travers les murs en bois d’un chalet en fin de soirée d’hiver au beau milieu d’une forêt enneigée de la Suède profonde.

Les arrangements d’une finesse d’esprit renvoyant les stars à l’école apparaissent, grâce à Ada, à travers cet étrange filtre granuleux épurant curieusement le message ; la délicatesse, la fragilité lointaine des musiciens comme de la chanteuse indubitablement douée sont superbes d’élégance et d’intelligence et Ada permet de déceler toutes ces petites choses vibrant dans le sfumato totalement sous contrôle, une dentelle ravissante ciselée dans un univers un peu sombre, très mélancolique. On ne perd rien de la plus insignifiantes élytre créative grâce à un pouvoir de résolution d’une acuité de peu d’équivalent ou alors sur des enceintes style pavillon avant ou d’autres qui ne le font que par analyse froide, là où Ada respecte les reliefs, perspectives, scénographie, modelés dans les ombres diffuses… Un moment très émouvant, certes sur le Kondo

Prokofiev par Pavel Haas ensuite. La précision des boisés, des ricochets, des jeux de timbres mais surtout de l’entrain varié de chaque membre du quatuor signe une vraie fête, rien n’est caché au profit d’une subtilité d’interprétation oscillant du très affirmé à la demi-teinte soudaine, l’amorti contrôlé vers un silence qui lui aussi affiche une volonté de grande maturité, habitée, active ! Sur les forte, quelques notes teintent d’un rien de rigidité les attaques de cordes, comme on l’avait remarqué dans la rubrique « timbres ». Dans les virevoltes de la folie inspirée du Quatuor, on s’en fout un peu quand même. L’exercice du test a aussi la contrainte d’imposer de planter des épingles sur la carte des sensations où l’élan mélomane connaît la vérité du concert au moins autant tavelée d’escarbilles fugitives.

Cette lisibilité magistrale s’étend sur une large plage du bas du spectre décryptant comme jamais le talent de Charlie Haden dans l’inclassable « Survivors’ Suite » de Keith Jarrett où la moindre torsion du poignet émet des répercussions dans le corps de l’instrument, dont quelques passages sublimes accompagnés du célesta de Jarrett confinent à l’apesanteur.

Bien sûr, une résolution si « analytique » dans la vertu musicale du terme peut donner l’impression d’amaigrir la restitution, ne venant pas compléter la faiblesse de certaines production par une « corpulence » factice, et on pourra trouver qu’en écoutant Marylin Manson (Pale Emperor en ce jour), l’équilibre passe par une mise en avant d’un large registre médium mais tout simplement parce que tout est fouillé, exploré, passé sous la lumière de nos oreilles ( ?) qui en revanche ne perdront pas une miette (??) des plans de chaque musicien, des erreurs de mixage ou bêtise de masterisation. La musique en souffre-t-elle ? Non, bien au contraire, Ada sublime le talent en exposant la plus insignifiante inflexion de jeu. Soit, elle refuse l’effet racoleur qui parfois n’est pas désagréable pour accompagner des productions indigentes. Et alors ? L’éloquence des artistes en sort grandie : c’est ce qui compte, non ?

On appréciera évidemment à fond la capacité de Ada à tout percevoir sur une grande formation telle celle de Duke Ellington dans son fameux concert de 56 à Newport. Qu’importe la stéréophonie totalement instable (bande stéréophonisée ?) et les variations qualitatives entre les morceaux, on bénéficie à fond des raclements et aboiements de trompette, trombone, des rires des saxo, des effets groovant d’une grosse caisse surnaturelle, du grain et du gras des bois… Sans parler du swing ! Ou plutôt si, mais dans le paragraphe idoine. Et toujours avec cette définition des matières qui dépasse ce que la perception visuelle pourrait en décrire.

 

Grande formation disais-je ? Que penser alors de l’Orchestre du Luxembourg dans l’acide Jonchaies pour 109 musiciens de Xenakis sous la houlette inexorable d’Arturo Tamayo.

Les violons cinglants qui sont autant de scies façon Psycho de Bernard Herrmann pour Hitchcock (dans la version Decca plus que dans celle un peu policée de Salonen), les rythmiques évoquant le Sacre du Printemps avant d’être totalement décomposées en chaos monumental, les charges de climax répétées… Est-ce trop à l’arrivée sur une enceinte aussi incisive que Ada ? Non. Non si le reste de la chaîne suit. C’est au contraire délectation car la puissance évocatrice atteint son comble, chaque registre traité à égalité par le sens des matières qui distingue Ada d’à peu près toutes ses rivales (que nous connaissons, et ça en fait beaucoup) créant des points d’ancrage ferme dans la tempête folle de Xenakis

DIAMs 5 OR

 

 

QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE

… D’autant que les battements rythmiques même lorsqu’ils se disloquent dans Jonchaies pulsent un élan accrocheur de swing et une dynamique de bombe atomique…

Euh… Oui… Mauvais goût. Soit. D’éruption volcanique ?

En vérité, si Ada peut se révéler explosive par sa nervosité de karting et sa puissance de fusée, la dynamique suit une succession interne d’évolutions croissantes, certes dans un flux parfois brutal, mais jamais cranté, envolée lyrique dont le fil n’est jamais rompu !

Le tourbillon essentiel de vie et de plaisir gourmand sur Black and Tan Fantasy (The Duke, déjà cité) sont évidemment à se lécher les babines, un partage de bonne humeur rigolarde où, via le naturel décomplexé de Ada, brillent toutes les dents de musiciens débridés…

Un extrait pourtant pas génialement produit comme Anniversary de Suzanne Vega passe de joli à bouleversant grâce au lien mouvant émouvant qui lie la mélodiste/chanteuse surdouée aux chœurs d’hommes accompagnant le refrain, un soyeux du cœur qui vous transporte dans les altitudes de l’émoi par un naturel patent. Naturel, oui, voilà, le mot est lâché : on atteint ici au naturel.

                                                                                      

Cependant, pour freiner nos ardeurs, le même extrait en utilisant un ampli pourtant réputé est épouvantable ; plat, gris y compris sur l’entrée HF et c’est bien tout le problème de Ada : elle est un révélateur sans pitié de la médiocrité et semble même prendre plaisir à sublimer autant le talent des musiciens ou appareils en amont que dénoncer la banalité d’autres musiciens comme d’appareils peu inspirants.

Il sera donc hélas facile de passer totalement à côté d’une enceinte comme celle-là.

Echoes de Pink Floyd prouve que le swing était un élément fort du groupe (eh oui…), et ici les évolutions rythmiques en transitions coulées sont particulièrement troublantes, une invention alternative toujours aussi difficile à saisir (où et comment se passent les variations de cadence ?) élevant cette plage des Floyd au rang de chef-d’œuvre.

DIAMs 5 OR

 

EXPRESSIVITÉ

Ada n’est pas irréprochable, évidemment ; pour autant nous ne connaissons guère d’enceinte qui soit une aussi fiable boussole dans la jungle hifi.

Ces frissonnants rebonds internes à chaque phonème, ce foisonnement assertif permanent au sein de chaque accord, tenue, ces sauts de cabri, énervements éphémères, ces fulgurances d’inventions ramènent en permanence à l’humain, au « naturel ».

 

La sentez-vous, cette espèce d’irréalité sous-jacente flottant dans l’air ?

L’expressivité

Ada permet de comprendre la musique « pour elle-même », la vivre, la ressentir à cru, sans les filtres d’une modification apocryphe complaisante que par ailleurs on aura aussi le droit d’apprécier selon son rapport à l’art au sens large et à ses propres émotions, bien sûr…

Même si j’ai du mal à l’imaginer, je peux comprendre que cette hyper-réactivité, cette tension précise, cette révélation des lumières dans une moisson d’informations peuvent aussi déplaire, avec le corolaire que Ada nous invite dans une intimité que les musiciens n’avaient pas forcément imaginée, révélant des aspects, des failles, des petites faussetés ou hésitations, des petits trucages qui, de mon point de vue, sont autant d’atouts de leur humanité.

Ainsi l’album - un de nos repères incontournables depuis quelques temps - de la subtile Billie Eilish ajoute ici une dimension supplémentaire au cocktail déjà perturbant de sensualité boudeuse, intelligence distanciée, contrôle de Maestro et ironie de farfadet, sublimé par une production maîtrisée jusque dans les fluctuations inaudibles : à savoir que tel niveau de génie à 17 ans fait peur, sentiment inquiétant qu’il pourrait aussi bien ressortir d’un dérangement mental, faisant espérer le meilleur pour la révélation de la décennie, mais craindre le pire sur son évolution en tant que femme, qu’être humain si le génie confine à la folie…

La puissance du piano de Pogorelich dans sa récente interprétation de l’Opus 54 de Beethoven laisse pantois. On n’est pas loin de ressentir, grâce à la précision de Ada, la présence d’un « vrai » piano. Mais avant tout, c’est la capacité aux nuances du Croate, qui passe dans un battement de cil d’une vigueur déclamatoire à une retenue où soudain la note semble ralentir. L’intelligence du jeu est prodigieuse et Ada rend un hommage vibrant à ce talent unique.

J’ai remis en selle un vieux Terence Trent d’Arby dont l’exercice de style dans as yet untitled, généralement exaspérant devient nettement plus touchant sur Ada qui détecte les failles, les petites pertes de justesse, les frémissements moins contrôlés rendant plus humain le bonhomme super prétentieux. Or, on part de loin.

Et sur un album aussi foutraque que Outside de Bowie par exemple, jamais on ne perdra le fil de la pensée au sein des couches empilées comme dans un vaste enchevêtrement perpétré par Brian Eno particulièrement en forme ; les divagantes envolées de Mike Garson vers une planète lointaine, la puissance ingénieuse de Sterling Campbell appuyée sur la basse énorme d’Erdal Kizilcay et les appuis forts de Carlos Alomar bâtissant des forteresses entourées de délicats Jardins des Plantes, les grincements brulants de la guitare démente de Reeves Gabrels et tout le fatras délirant sont sur Ada un sujet d’émerveillement constant, un château de conte de fée où les bals se succèdent dans une éclosion de robes éclatantes serties de bijoux, perles et fanfreluches mais où le Diable et son cortège de sorcières ou vampires et autres esprits maléfiques s’invitent sans vergogne, une explosion de couleurs et rythmes et effets que la voix inspirée comme jamais et jamais plus du grand David survole d’un lumineux lyrisme… On ressort épuisé de l’expérience, car Ada oblige à la concentration, force le respect dû à des artistes ultimes se débattant dans un tableau de Jheronimus Bosch, conduisant à une émotion plus profonde que le petit frisson au passage…

Ada, c’est ça aussi. C’est ça avant tout…

DIAMs 5 OR

 

PLAISIR SUBJECTIF

Dès lors la notion de plaisir subjectif est difficile à évaluer. Enceinte de mélomanes en premier lieu, désireux de vivre jusqu’au plus près de l’épiderme le langage, les bisous et les coups de griffe de leurs musiciens préférés, découvrir sans erreur les nouvelles perles de la, des musiques sans distinction de genre, elle ne comblera pas les amateurs de gros son, ou de show off permanent ou de confort de bon édredon bien chaud.

Mais c’est aussi ce qui en fait un objet d’exception, un moyen de revendiquer sa différence…

Pour nous, elle est un atout de prosélytisme, une façon de prouver que notre espoir d’une haute-fidélité qui retrouve le sens de l’orientation est possible sans passer par l’extravagance de systèmes si compliqués qu’ils ne sont pas reproductibles.

Dans les désagréments, on notera qu’on ne peut se permettre que deux options dans l’accompagnement de Ada, la rendant somme toute assez peu universelle :

Soit une combinaison de bonne moyenne, arrangeante, ne cherchant pas à en faire trop mais le faisait bien, vie, énergie, homogénéité. On pourra citer dans nos repères à nous : Atoll IN400 ou Tsakiridis Aeolos Utra.

Soit on rentre en quête d’absolue et là attention : peu de concessions possibles, pas d’approximation autorisée.

C’est par exemple un juge impitoyable pour comparer des câbles, certains pouvant purement et simplement la « tuer » !

 

 

PERCEPTION D’ENSEMBLE

Objet déjà volumineux, d’une finition élevée mais simple, les proportions de Ada et la possibilité de la placer près des murs en rendent l’intégration facile.

Pour le reste, la conclusion est simple : la voie ouverte par Ada est un antidote à l’ennui…

DIAMs 5 OR

 

 

RAPPORT QUALITÉ / PRIX

Pour les amoureux de musiques prêts à sacrifier un budget à leur passion, incluant de bien être attentifs à l’environnement, rien à dire, Ada est incontournable, possiblement seule, à ce prix-là, voire bien au-delà. En attendant Eliza

DIAMs 6 OR

 

ADA 1

Banc ecoute