Dual CS 618 Q : retour vers le moderne
Par LeBeauson - Juillet 2024
Perception d’ensemble
A l’heure où le disque vinyle est l’objet de nombreux fantasmes, la platine Dual CS 618 Q est un excellent moyen de transformer la fiction en réalité sans contraindre à vendre un rein.
Acuité et capacité de modulations rigoureuses, timbres soigneusement respectés, ferveur intacte ; et si d’aucuns préfèrent une lecture plus ronde, plus « maquillée », tant pis pour eux.
Pas pour nous ! La CS 618 Q va dans le sens de ce que nous prônons : la stabilité et la minutie au service de l’expression plutôt qu’une extrapolation de beauté répétitive et lassante.
NB : Code couleur pour ce banc d’essai : vert, moins de 1 600 €
La platine Dual CS 618 Q incluant une cellule Ortofon 2M Blue étant proposée à partir de 1 200 € selon les finitions.
La nostalgie réserve parfois des surprises bien agréables. Alors que Dual n’est pas une marque à laquelle j’étais particulièrement attaché dans ma jeunesse, elle figurait dans la liste des jalons incontournables à une époque où Telefunken ou Grundig avaient encore des choses à dire. Je me souviens de démo où la marque présentait un modèle en action monté sur une sorte de gyroscope pour montrer sa technicité…
Quand on m’a annoncé son grand retour il y a quelques années toujours sous bannière germanique (pas la fabrication) en respectant les codes de la marque, incluant des modèles entièrement automatiques, j’ai craint le pire au regard des prix annoncés ; quand on m’a précisé qu’elles étaient garanties 5 ans, je me suis senti rassuré.
Et quand j’ai écouté, j’ai souri : quelle aubaine pour les primo-acquérant !
La gamme des platines manuelles commence à 549 € avec la CS 418 (équipée d’une cellule Ortofon 2M Red et d’une sortie préamplifiée (contournable) !) et va jusqu’à 1199 €, la CS 618 Q (incluant une cellule 2M Blue et un préampli) en version noire, demandant un supplément de 100 € pour la version noyer (présentée ici) ou laque noire.
Les automatiques commencent à 399 € et grimpent à 1099 finition noyer…
Il y a aussi un modèle « vitrine » Primus Maximus à 9900 € ! Elle est fabriquée à la main en Allemagne, par le responsable production & R&D de la marque. J’avoue que celle-là m’intrigue…
La CS 618 Q WN (noyer) n’est pas à proprement parler manuelle mais plutôt une semi-automatique, puisqu’on peut, via un switch à l’arrière, lui demander un arrêt en fin de lecture où elle soulèvera également le bras. Cette fonction est parfois peu réactive (lente) et prévaut dans les cas où la somnolence vous aura pris plutôt qu’en usage permanent.
Présentation sobre fidèle à la marque, un châssis en MDF relativement lourd (le poids total de la platine est de 7 kg), un plateau en aluminium moulé (1.45 kg) - recouvert d’une couche isolante en caoutchouc - à entraînement direct, dans la tradition de la marque, qui, s’il est aussi fiable et efficace que dans le passé, est un gage de qualité.
Le bras est à double pivot sur roulements à billes.
La platine est livrée avec un couvercle articulé bien pensé puisqu’il intègre une position de blocage ouverte.
Le moteur démarre lorsqu’on approche le bras du disque. On dispose même du 78 tours/mn !
Ecoute menée en compagnie de : cellule Ortofon 2M Red et 2M Blue, Aurorasound Vida Prima, Aurorasound HFSA-01, Neodio TMA, Atoll IN100 Signature, Living Voice R25, Revival Atalante 5, hORNS FP12, câbles Neodio Fractal et Wing 1.1.
Richesse des timbres et équilibre tonal :
Parmi les disques que le temps m’a fait oublier, j’ai eu l’envie d’écouter de l’opéra. Pas forcément l’exercice le plus facilitant pour une platine vinyle d’entrée de gamme.
A la réflexion, j’écoute rarement de l’opéra et Aïda encore moins, sorte de florilège un rien démonstratif*. Le rénovateur italien a quand même fait mieux, La Forza del Destino représentant probablement l’acmé de son art. J’ai choisi Muti en 1974, Caballé, Domingo, Cossotto, Cappuccilli, l’inégalable Ghiaurov… le New Philharmonia, EMI, pressage français 1975…
Ah oui : je n’ai pas nommé Giuseppe Verdi. Oups. Sorry. Pardon.
* j’ose le qualificatif parce qu’on ne parle pas de Mozart… Oh là, pas envie d’être lynché !
Premier point qui se vérifie de prime abord : la rotation est stable ! Ce qui n’est pas toujours le cas sur les petites platines. Les notes longues ne tremblent pas, les cuivres luisent ardemment, le sens de la matière étant un bon révélateur…
Deuxième point : la sortie « préamplifiée » rendra service faute de mieux, mais franchement, elle bride le potentiel élevé de l’ensemble platine + bras + cellule. Une honnête solution d’attente, soit, mais ne méjugez pas la qualité de votre achat en vous arrêtant à cette première approche.
En comparaison avec l’entrée phono optionnelle de l’Atoll IN100 Signature, on sent clairement un voile et un appauvrissement aussi bien harmonique que dynamique. Bien évidemment, ça fait son boulot mais pas des miracles.
Sinon, on retrouve sans la moindre restriction l’effervescence et les qualités d’articulation de la très bonne cellule 2M Blue qu’on a pu apprécier sur des platines plus ambitieuses. Cellule vive, animée, dont l’équilibre tonal et dynamique est rectiligne (différence relativement notable par rapport à la 2M Red)
Du début jusqu’à la fin du disque, le guidage est cohérent, nulle impression d’un violent accroissement de la distorsion en bout de sillon par exemple. Pas parfait soit, mais cohérent.
La discrète platine brosse une abondance de nuances dans ce spicilège romantique, saveurs de coloris, pas forcément dignes d’un étoilé Michelin, néanmoins remarquables, honorant grandement les voix, par ailleurs très assurées, implantées en avant des enceintes.
Bien sûr, on connait des restitutions plus organiques ; des platines de haut vol vous approcheront davantage de la sépulcrale implication de Montserrat Caballé à son sommet ; peut-être Domingo est-il un peu plus placide (ah ah !) que nature, Fiorenza Cossotto s’essouffle plus tôt que dans mes souvenirs… Mais Ghiaurov dans le rôle du méchant de service (Ramphis) dégage une implacable autorité de bronze qui fait froid dans le dos, vrai Potentat symbolisant, dans l’esprit de Verdi, le pouvoir pervers des religieux. Cela dit, il y a beaucoup de méchants dans le livret…
L’orchestre déploie la vaste palette mobilisée par Verdi pour embraser l’Egypte antique réinventée par Cecile B. DeMille. Euh, non, pardon : Joseph L. Mankiewicz ; dont les rutilances texturales ne sont jamais trahies par la probe platine Dual.
La voix de Sting (je précise que j’ai quitté Verdi) est-elle un peu moins accomplie qu’elle ne devrait ? Je ne sais pas, j’en ai l’impression à l’écoute de Synchronicity, The Police, (1983), tandis que la caisse claire en cuivre et le Rimshot de Stewart Copeland s’affirment en dégageant très convenablement les extensions de peau et que les harmoniques des guitares d’Andy Summers se développent joliment.
Franchement, en aveugle, je me serais interrogé quant au prix de ce que j’écoutais alors.
Pour avoir en parallèle une EAT Prélude équipée de la même cellule, on constate que l’EAT procure un peu plus de souplesse et d’ampleur, des couleurs apparemment plus épanouies, où la petite Dual, plus autoritaire, imprime des reliefs mieux galbés des textures ou matières, et contrôle plus rigoureusement les essors harmoniques …
L’aigue monte sereinement, ne brille pas artificiellement cependant que, sur un passage d’électro-pop cossu (Billie Eilish pour ne pas la nommer), on sent que la combinaison Dual + 2M Blue préfère un grave énergique et droit à une descente abyssale floue.
Ça, c’est de l’objectivité.
Nous aussi, nous préférons ce choix.
Ça, c’est de la subjectivité.
Dites-vous qu’à l’occasion d’un changement de cellule et en optant par exemple pour une Nagaoka MP-110 ou 150 (même gamme que les Ortofon), vous pourriez rediriger votre platine vers une restitution plus charnue, « organique » …
Tout le bonheur du vinyle…
Équilibre tonal :
Richesse des timbres :
Scène sonore :
On aura pu se réjouir d’une scène correctement ouverte en largeur et profondeur à l’écoute d’Aïda, très stable sans être idéalement respirante, peut-être un rien en avant, ce qui n’est pas désagréable, avantageant les solistes, les héros.
L’aplomb en est préservé du début à la fin du sillon ; sensation garantie par cet étrange album qu’est Slave to the Rythm, Grace Jones produit par Trevor Horn, ZTT en 1985… Electro, Synth Pop ?
Concept intégralement bâti autour d’un seul titre, grandement fabriqué au Synclavier, mais où moult moments majeurs s’appuient sur des musiciens ô combien balaises (le génial bref riff à la Rolling Stone coupant le morceau principal tel un silence assourdissant) ; la maniaquerie de Trevor Horn fait ressembler les pistes de ce happening scénarisé à la carte d’un champ de bataille où le Général Patton* aurait idéalement rivé des petits soldats inamovibles, par-dessus laquelle des gamins iconoclastes rugissants feraient virevolter des maquettes d’aéroplanes !
La platine Dual implante dans notre espace privé la sculpturale égérie et son sourire carnassier idéalisés par Jean-Paul Goulde (Goule ?) et respecte aussi bien les placements ancrés dans le sol que les rebonds sonores étourdissants du ballet de voix et effets outrés en fin de première face (Operattack).
Entre autres jeux de scénographie.
* Pas Mike : George
Scène sonore :
Réalisme des détails :
Fabiano do Nascimento and Sam Gendel, the Room, un album carte postale pour agence de voyage aussi surréaliste qu’impressionniste en apparence simple : un saxophone alto et une guitare sept cordes.
Simple qui cependant peut perdre beaucoup de son intérêt si l’épiderme ne frémit pas sous la délicatesse du toucher de Nascimento, ses souples enchainements d’accords nés de croisements culturels augmentés, et le saxo évoquant le célèbre couple (artistique) Getz / Gilberto, gratifié d’une inventivité rafraichie et complexifiée, rien d’étonnant quand on sait combien Gendel furète dans des univers possiblement contradictoires.
Je ne l’aurais d’ailleurs pas imaginé dans un album tel que the Room, déroulant avec une virtuosité décontractée des romances brésiliennes douces, parfois sombres, baignant dans la joyeuse mélancolie qui en jalonne le pôle identitaire…
Un disque qui aurait sa place dans la rubrique expressivité pour dire que, si elle est plutôt du genre rigoureux, la petite Dual CS 618 Q n’en apprécie pas moins la poésie.
…
Dans une approche radicalement opposée, se sortir de l’amphigouri (sonore pas musical) un peu criard par moment de Close to the Edge, Atlantic 1972, n’est pas une mince affaire.
Ce monument du groupe de rock progressif Yes (et sa meilleure formation - Rick Wakeman, Bill Bruford (qui quittera ensuite le groupe, las du trop long processus de création), Chris Squire (dont je n’ai jamais aimé le son, mais bon, il pose des lignes de basse impressionnantes de solidité) et bien sûr les deux patrons, Steve Howe et Jon Anderson - pour ce qui est mon disque préféré dans leur longue carrière) catapulte en effet une mixture harmonique si particulièrement emberlificotée dans le médium aigu, portée par la voix angélique d’Anderson, que le résultat sonore peut facilement nous priver de la richesse et la minutie des arrangements de musiciens de haut vol.
La Dual CS 618 Q s’en sort remarquablement, décryptant plutôt facilement les boucles de synthé du début du morceau éponyme, nous permettant par ailleurs de suivre avec une louable expressivité les envolées lyriques de Steve Howe comme la ligne de basse copieuse de l’écuyer (hum… Squire) … Pas de projection ou de dureté nonobstant une fugace contraction harmonique lors des passages où les chœurs se juxtaposent aux lignes de synthés acérées, ou sur l’orgue d’église jouant le Récit.
Soit, la caisse claire de Bruford pourrait frapper plus sèchement. Ben oui, mais est-ce que la musique en souffre ? Non.
Evidemment, on trouvera par des combinaisons plus ambitieuses une transparence supérieure, une anatomie plus organique, une séparation des lignes et du cadencement plus fruitée, favorisant de plus fins petits rebonds internes, des enveloppes de notes ou de matières plus texturées.
Je précise cependant deux choses :
- l’homogénéité est telle qu’il n’y a aucune fatigue auditive qui pourrait rapidement apparaître sur un tel ouvrage torturé, par extraction de telle ou telle zone du spectre
- oui, on peut attendre mieux, mais à quel prix ?
Je reviens à mon comparatif EAT et Dual : l’EAT sur le disque alambiqué de Yes semble plus douce, plus confortable ; mais raconte-t-elle aussi bien la permanente créativité d’un puzzle composé et arrangé millimètre par millimètre ?
Qualité du swing, de la vitalité, de la dynamique :
Un petit Miles Davis ? Pas si fréquent dans nos BE.
Relaxin with (1958) avec Paul Chambers, Philly Joe Jones, Red Garland et John Coltrane, comparaison d’Oleo (Sonny Rollins) entre deux pressages, l’un de Barclay en 1958 et une réédition OJC de 1985…
L’intrépide petite platine Dual sait parfaitement traduire la différence d’enthousiasme entre les deux gravures, où l’édition originale, pourtant mono, procure un relief des matières, une verve et une vitalité, totalement éteints, gris sur la réédition. Et, tout simplement, elle délivre un swing pétulant qui pourrait tromper quant au prix !
Rien à reprocher non plus à une dynamique que certes on connaît plus subtile dans les moments délicats de la partition pas facile facile de trombone (Oraison Funèbre) et plus explosive lors de grands éclats (Apothéose) à l’écoute d’une version qu’on ne présente plus* de la Symphonie Funèbre et Triomphale de Berlioz, celle de Colin Davis dirigeant le LSO, Philips 1969. Version de concert incluant les chœurs glorifiant le final
Tout au plus pourra-t-on regretter un manque de progressivité dans les écarts dynamiques ; aucun décrochage en revanche dans les moments exaltés ou chargés, ni de distorsion gênante alors que la part belle est faite à des vents et cuivres triomphants. L’apparition des chœurs ne vient ajouter ni confusion ni projection. Pas mal car l’ouvrage est éminemment volumineux !
Venant confirmer que si la petite Dual n’est pas une championne toute catégorie de la transparence, elle n’est jamais brouillonne.
* Enfin, quand je dis qu’on ne la présente plus… si peut-être, puisqu’elle est quand même nettement moins adulée que la Symphonie Fantastique. Il faut dire que, musique très martiale, hymne national monumental et exalté, ce n’est peut-être pas ce qu’on préfère du compositeur français. Il paraît que Wagner a adoré de bout en bout…
Expressivité :
« J’entends tout » est un titre prémonitoire.
Rien ne nous échappe en effet de la suavité sensible et raffinée d’Alain Chamfort dans l’extrait de l’album Tendres Fièvres (CBS 1986) où son amour des femmes invoque l’émouvante conviction affectueuse ou déraisonnablement passionnée de ces petits riens qui déroutent le cœur amoureux d’une âme dévorée de romantisme pour une inconnue inaccessible, j’entends, tout à travers les murs / même le plus doux, de ses murmures…
Il est intéressant de constater, comme souvent, que le côté de prime abord un peu austère de la combinaison Dual + 2M Blue saura, mieux que des platines plus émollientes, bichonner la distinction humaine…
L’humanité est également au cœur de l’interprétation si merveilleuse, inspirée et pourtant pudique du Concerto pour Violon, Op 64 de Mendelssohn par Leonid Kogan et l’Orchestre du Conservatoire de Paris dirigé par Constantin Silvestri, Columbia 1960, pressage 2011 Testament.
Sublime violon, coloris et matière, particulièrement éloquent, que l’orchestre cocoone avec élégance et bonheur pour une version énergique, où le son d’époque pique un peu, ne nuisant pas un instant à la puissante verve artistique… La petite platine vinyle Dual ne cache pas le léger changement de ton de l’éminent virtuose dans le final basculant d’une fine distinction dans les deux précédents mouvements vers une affirmation soudain plus musclée mais toujours aussi richement aromatisée.
Vraiment, dans une telle gamme de prix, voire au-dessus, on connait essentiellement des concurrentes moins rigoureuses, plus rondouillardes ou simplement plus floues.
Plaisir subjectif :
Cette loi non écrite - supposant que, passé l’exercice d’écouter avec la concentration requise pour réaliser un banc d’essai le plus objectif possible, on enchaîne d’autres disques avec gourmandise, est la démonstration d’un facteur plaisir élevé - se vérifie dans le cas de la platine Dual puisque, en rédigeant l’article, je me lève régulièrement pour aller remplacer le disque.
En ce moment c’est le pressage 45 tours de l’album Hail to the Thief (2003, pressage XL Recordings de 2016) de Radiohead où l’étourdissant Myxomatosis éclate avec brio.
Rapport Qualité/Prix :
Je suppose que j’ai tout dit à ce sujet. La Dual CS 618 Q saura prendre soin de vos chers vinyles et de vos oreilles sans vous contraindre à casser la tirelire des enfants ; à moins, au contraire, que vous ne profitiez de l’aubaine pour leur offrir un noble moyen de découvrir ce support auquel ils semblent désormais très attachés : le bon vieux disque microsillon.