à l’oreille





EAM Lab Element 202i
Push the level ailleurs… euh : higher.

par LeBeauSon - Mars 2023


Perception d’ensemble

Sous une apparence de mastodonte pour garçons épris de Jurassic World se cache le bon copain costaud : celui qui s’occupera de votre bien-être avec bienveillance et générosité, ne rechignant jamais à la tâche pour vous être agréable.

Cela signifie-t-il « lourdaud » ? Que nenni : ce colosse capable de propulser vos enceintes jusqu’à la planète Jupiter (dans la version esthétiquement aboutie des sœurs Washowski) est – paradoxalement ? - un façonnier débonnaire, courtois, très bien élevé, ne perdant jamais sa décontraction, disposé à vous emporter pour de longs périples sur une mer par tout temps dont son caractère et sa force égaliseront les tempêtes.

Il voue sa phénoménale puissance au service d’un élégant phrasé pour le moins inhabituel dans cette classe d’appareils (je veux dire : le coût) tout en se réservant de changer de caractère dès qu’on sollicite ses gros muscles.

Une excellente surprise de la part d’un engin herculéen qui, à priori, ne correspond absolument pas à ma quête : il s’est montré à la hauteur de ses « travaux » et même, je l’avoue, en est devenu très attachant.

Compte tenu de ce qu’il sait faire, son prix est formidablement placé et suggère de s’y intéresser avant tout investissement dans des grosses bouzines estampillés « Médailles en Chocolat » par nos chers collègues (au sens pas propre) et honteusement surcotées.

DIAMs 6 ORANGEs

 

NB : Code couleur pour ce banc d’essai : Orange, de 3 200 à 6 500 €.

Le prix constaté moyen de l’EAM Lab Element 202i est de 6 100 €

 

EAM Lab 202i 7

EAM Lab, une marque dont nous avons déjà testé au moins un appareil, aussi ne vais-je pas refaire l’historique, que vous trouverez ici :

https://www.lebeauson.fr/a-l-oreille/243-EAM-lab-studio-da201-studio-162

Quand je dis « nous » en l’occurrence, ce n’était pas moi qui avais écouté ces bidules mais l’équipe bourguignonne. Celle du boss.

Ce qui va lui rappeler (pas malin malin de ma part) que je n’ai jamais rédigé le BE d’un conditionneur secteur de la même marque, vraiment pas mal, surtout côté rapport qualité/prix. Oups…

Je ne sais pas, par conséquent, trop quoi attendre de ce nouveau venu assez mastoc quand même. 42 kg, c’est toujours sympa pour le dos. J’ai moins de mal à porter ma dulcinée… Il faut dire que la conquête est plus agréable !

Bon, allez, il est temps de se confronter à la partie la moins intéressante d’un BE, à savoir le descriptif. Vous allez sans doute comprendre pourquoi je n’aime pas ça.

Objectivement, cet objet n’est… euh… Pas dessiné pour Minotti

Hum, c’est ma fiancée milanaise, diplômée des Beaux-Arts à Milan - donc discutable -, qui m’a soufflé la référence.

 

Esthétiquement, l’Element 202i est un idéal archétype du machin pour virilité décadente adapte de testostérone visuel. On comprend sans peine la volonté de design, la part de sérieux conscient de l’essentiel de sa clientèle mais euh… N’est-ce pas limitant ? J’ai l’impression qu’on aurait pu attendre mieux d’une marque native de Milan. Par exemple, le dessin des boutons est joli mais ils sont si petits dans la façade. La séparation de couleur black / alu est inutilement trompe-l’œil… L’afficheur est euh… bleu. Ça va. La notice dit « jaune ». J’ai dû zapper un truc.

Bon. On s’en moque, soit : c’est de la hifi, pas de la déco ; or, moult objets très ambitieux font jeu égal ou pire. Certains, parmi les plus honteusement coûteux, tiennent du Guinness de la mocheté.

Allez, on va dire que du goût et des couleurs…

Noble télécommande en revanche, un joli bloc d’aluminium. Dommage qu’elle ne soit pas vraiment efficace et réclame un angle précis de visée. A force de tester des appareils italiens, ça semble devenir une identité nationale. Elle n’a que deux fonctions, régler le volume et les entrées, cependant que l’appareil est pourvu d’un menu vers quelques réglages pas essentiels, pour accéder auxquels il faudra s’extraire de son fauteuil. Il y a bien une touche Display sur la télécommande, qui ne semble pas active.

Côté technique, on en a pour son argent sans aucun doute : ainsi, le contrôle de volume numérique basé sur un processeur gérant un réseau de résistances n’est pas la moindre preuve d’exigence. Les circuits traversés par le signal n’intègrent que des composants discrets (par opposition à des circuits intégrés) …

… Aujourd’hui, c’est la finale France/Argentine. Ce n’est pas que ça m’intéresse particulièrement, mais je pense que ce sera plus passionnant que de décrire la technique employée dans un tel objet…

Allez, je continue la pénitence : les alimentations sont totalement séparées et indépendantes pour chaque canal, basées sur des transformateurs toroïdaux à faible induction fabriqués sur mesure.

Je lis sur les infos fournies qu’un étage tampon d'entrée ultra-linéaire permet de réduire considérablement le bruit et la distorsion. Super ! J’attends qu’un jour un fabricant revendique le contraire.

Les relais de commutation ont des bornes plaquées or pour un meilleur contact et une meilleure performance dans le temps.

Ça a du sens.

« La sortie casque du panneau avant permet de contrôler les écoutes privées ». Ouais bon, une sortie casque, quoi…

Une grande réserve de courant assure une réponse rapide et une dynamique permanente…

… Alors là, il faut qu’on en cause. Cet intégré procure des sensations musicales indéniablement intéressantes et on n’est certes pas volés, mais considérer qu’une grande réserve de courant garantit rapidité et une dynamique permanente, c’est avaliser que la plupart des gros amplis à totors ont quelque chose à dire musicalement.

Eh bien, chers amis Nécromusiciens, non, certes non. C’est précisément ce qui anéantit 90% de la Grand Hifi Internationale.

Bon là, comme quelques fois, ça semble fonctionner. De là à en faire une théorie créative, oh là, il y a un océan.

Le schéma du 202i repose sur une configuration double mono (du jamais vu !), toutes alimentations stabilisées et filtrées fournies par deux transformateurs EAMDualcorETM (c’est extrait d’un téléfilm de science-fiction des années 70) d'une puissance de 900 VA chacun et une section de filtrage à faible ESR de plus de 60 000 µF garantissent une alimentation en énergie même à volumes élevés et sur de faibles impédances de charge. (Qu’est-ce que je disais plus haut ?)

 

Le jour où les fabricants comprendront que ce genre d’informations n’intéresse que les obsédés hifistes et font fuir les mélomanes ou novices, l’humanité aura franchi un grand pas.

La fiabilité et la stabilité du pilotage de la charge sont confiées, sur chaque canal, à 6 paires de transistors bipolaires en configuration Darlinghton. J’ai respecté la faute d’orthographe de la notice. Bon, c’est un nom propre, donc sujet à caution.

Toute la section de filtrage, y compris les ponts redresseurs, est montée sur le circuit imprimé principal. Le câblage en l’air est ainsi éliminé, ce qui permet de réduire la résistance de contact et d'augmenter le courant électrique fourni aux circuits principaux.

Ah bon ? Zêtes surs ?

Soit, je peux paraître un peu taquin.

Tout simplement parce que toutes les recettes énoncées ci-dessus sont totalement éculées puisqu’employées par la majorité des grandes marques d’amplificateurs à transistors qui n’ont de cesse de prouver leur vacuité. Il n’y a rien de neuf, il n’y a aucune innovation, et ce depuis longtemps, dans les schémas et recettes ; et ce qui fait la différence entre un appareil expressif et un appareil chiant ne tient pas du descriptif technique mais d’un truc qui s’explique mal et s’appelle le talent. Ou le coup de bol.

Et que tous ceux qui vont vomir sur les réseaux sociaux comprennent bien une chose : mon estomac est aussi solide que mes convictions ; or, elles refusent qu’on m’impose une pensée dominante, ou commune, ou politiquement correct.

90% de la hifi est du domaine de la grande imposture technologique au milieu de quoi émergent des objets hissant la tête au-dessus de la médiocrité, sachant que parfois, on se demande bien pourquoi.

Allez patron, débrouille-toi avec ça.

En pratique, un EAM Lab Element 202i, ça donne quoi ?

- 1 entrée symétrique sur XLR. Vrai ou faux symétrique ?

- 4 entrées asymétriques sur RCA

- 2 paires de bornes WBT pour enceintes. On est chanceux : le fabricant a pensé aux sorties vers les HP.

- 1 prise de courant VDE 10 A ????

L’étage d'entrée symétrique (pourquoi « l’étage d’entrée » : qu’est-ce que je disais ?) est confié à des amplis opérationnels à très faible bruit et à large bande passante. Pour cette section également, les alimentations sont filtrées et stabilisées de manière optimale.

Le châssis en acier de 1,2 mm est renforcé par des nervures aux points critiques pour minimiser les vibrations (!!!). Le panneau frontal est en aluminium de 10 mm traité anticorrosion. C’est la moindre des choses, non ?

Châssis et dissipateurs thermiques sont peints avec des polymères spéciaux résistant à la chaleur et aux rayures. Le 202i est disponible en finition titane, noire cuivrée ou autres finitions dit le catalogue. C’est-à-dire ?

 

- 1 x sortie : pré-out sur RCA

- Puissance maximale : 2 x 270 W sous 8 ohms / 2 x 400 W sous 4 ohms

- Réponse en fréquence : 10 Hz à 40 kHz ± 0,5 dB

- Distorsion harmonique totale : < 0,03 % à puissance maximale sur 4 ohms

- Sensibilité : 2,8 V sur XLR ; 1,4 V sur RCA

- Impédance d’entrée : 47 kohms sur XLR ; 22 kohms sur RCA

- Rapport signal/bruit : > 115 dB

- Facteur d’amortissement : > 250 à 70 Hz sur 8 ohms

- Consommation sans signal : 1 W ; à puissance maximale : 1100 W. L’appareil est donc plus proche de la classe B que A.

- Télécommande IR aluminium

- Afficheur OLED jaune ????

- Dimensions (Lx H x P) : 42 x 21 x 41 cm

- Poids : 42 kg.

 

EAM Lab 202i 5

 

J’attends le jour où paraîtra une mesure Expressivité / Bruit.

Ecoutes menées sur : Kuzma Stabi R + Hana ML + Aurorasound Supreme, Atoll ST300 Zignatoure, Eera Minuetto, hORNS Aria III et FP10, Living Voice R5, câblage Wing, Legato, hORNS, Nodal, Mudra.

 

Timbres et équilibre tonal :

La musique de Maurice Ohana, compositeur français très influencé par sa jeunesse au Maroc, sa mère andalouse et ses amitiés italiennes, né en 1913 et mort (oui, mauvaise nouvelle, il est décédé) en 1992 n’est certes pas la plus représentée qui soit. Musique savante - quoi qu’il s’en défende - pas toujours accessible, elle privilégie souvent le tempérament en tiers de temps. Genre d’information qui, à l’instar d’un pédigrée hifi, ne parle qu’aux initiés.

Plus prosaïquement, sa référence aux rythmes africains, très présente dans le biscornu Concerto pour Guitare 3 Graphiques DA1954 (1957) commandé par Narcisso Yepes est particulièrement révélée dans l’adaptation pour guitare, piano et percussions par Olivier Pelmoine jouée par lui-même, Carolin Cren (Piano), David Jognaux et Romain Robine (percussions).

A niveau d’écoute domestique sur des enceintes à rendement faible, on se régale d’une guitare très suave, dont on pourrait attendre plus de mordant, même en prenant en compte qu’on n’écoute pas Kirk Hammett ; ressenti confirmé par le piano et les percussions qui, par ailleurs, sont épaulés par d’évidents élans physiques sur les déflagrations dynamiques violentes, plus coupleux et roboratifs que vifs cependant.

Si les timbres grisaillent un poil, ils disséminent corrélativement une palette totalement cohérente quoiqu’insensiblement tamisée par un filtre de faible indice, une sorte de polarisant dulcifiant les éclats et reflets, contournant parallèlement toute tricherie ou déphasage harmonique. Aucun problème d’identification colorimétrique des instruments ne vient entacher le beau déroulé de fluides phrasés.

Et ce d’autant moins qu’on a par ailleurs la sensation d’entendre une multitude d’informations ; continûment derrière un voile léger (qui vole aux avant-postes), soit ; une « brumisation » érodant dureté, excès douteux de pixélisation ou lumières trop contrastées mais, de fait, galbant les contours et estompant les arêtes des matériaux.

Cette caractéristique n’est pas problématique puisque parfaitement raccord sur l’ensemble d’un spectre large, de tendance mate, refusant toute brillance erronée au profit d’une câlinerie appréciable, certes au détriment des proéminences naturellement grenues des textures.

Ainsi, la concrétisation des bois, métal, peaux, n’est pas tout à fait excavée, pétrie, ce qui se révèle par des notes de piano - ou xylophone, vibraphone, glockenspiel, célesta… - un peu roulantes, alors que, là non plus, on ne souffre d’aucune frustration tant l’homogénéité et les variations dynamiques sont irréprochables, y compris sur les éclats violents, parfaitement tenus, refusant projection ou déperdition de teintes.

Alors que le corps de la guitare – dont le boisé et les résonances sont plus que corrects - est élargi ou « épanoui » par la profonde énergie que l’on devine colossale du 202i, la dimension relative des autres instruments se matérialise plausiblement dans un espace large et profond.

On remarquera les mêmes phénomènes sur la passionnante (plus originale que révolutionnaire…) proposition des Quatuors en La mineur de William Walton et n°3 en Fa Majeur Opus 73 de Shostakovich par l’Albion Quartet chez Signum. Le thème étant d’exposer deux œuvres écrites la même année (1946) dans des contextes d’immédiat après-guerre très dissemblables.

Disque hautement recommandé (je continue de dire « disque » alors que je parle d’un fichier), pas tant par l’interprétation (admirable) du Quatuor rabâché de Shosta que l’intelligence des effets de miroir entre les deux oeuvres.

Albion domine sans faconde exagérée cette insolite ambivalence entre turbulence et lyrisme mélancolique imbriqués dans l’intensité brûlante palpitant au cœur de l’écriture de Walton.

On note la place prépondérante (et rare) d’un alto électrisant, ici particulièrement bien révélée aussi bien par l’artiste (Ann Beilby) que par l’intégré du jour, qui parvient – pas idéalement, soit – à théâtraliser les passages orageux comme déboucler les moments plus tendres. On sent que les interjections du violoncelle pourraient - devraient ? - être plus gutturales… Qu’importe c’est très beau.

Pour bien évoquer le témoignage artistique d’œuvres de « l’après », le Quatuor britannique suit consciencieusement voire surligne les « émotions contradictoires », comme décrit dans le livret, révélant méthodiquement la trompeuse humeur joyeuse et ensoleillée ouvrant l’Opus 73 sombrant bientôt vers les pénombres, zones de mystère de cyniques à opaques, la descente inexorable vers le Styx, dans des contrastes impeccablement maîtrisés.

C’est autant dans les textures pointillistes profondément troublantes du deuxième mouvement érigeant les lignes ourlées du final que dans les sonorités vastes et resplendissantes ouvertes par les musiciens survoltés et inspirés, que l’on perçoit que l’intégré italien, s’il déroule un sens du lien irréprochable, est plus amateur de l’intelligibilité holistique que de l’incision, sans toutefois que l’ample onctuosité - imperturbablement au rendez-vous -, ne bascule jamais vers une langueur ramollie.

Nous interrogeant sur l’impression que le grave, bien qu’apte à pulvériser une muraille de château-fort, pourrait en revanche ne pas vraiment descendre, nous choisissons prudemment d’utiliser un de nos repères : Oxytocin et Everybody Dies de Billie Eilish afin d’être sûrs ; et on augmente le niveau d’écoute…

Et là attention : la charge du rhinocéros se fait soudain particulièrement féroce ! On comprend immédiatement que la brute transalpine peut vite fracasser un paquet d’enceintes : l’ampli a vraiment une grosse réserve sous le capot et change carrément de caractère, s’affirme plus autoritairement dès qu’on monte dans les tours, prend plus de relief et envoie fort ! Mais sans astringence ; se confirme en revanche que l’extrême grave n’est pas tout à fait là, au profit d’une spectaculaire capacité à enfoncer très proprement, avec un grand sens de la modulation générale, sur une large zone du spectre ; je le répète : on peut rapidement dépasser la résistance des enceintes sur une telle déferlante. Ça nous est arrivé. Attention aux fêtes prolongées ou aux finales du Mondial fêtées trop bruyamment. Hum… En Argentine. Jour de l’écriture de ce BE.

Au risque d’anticiper, certes, nous avons connu notre chère Billie plus présente et surtout plus sensible, plus émouvante ; ainsi, l’intégré Element a d’ores et déjà défini son champ d’action : motoriser des enceintes au rendement faible, aux impédances tordues, voraces en énergie, qui requièrent un dopage à l’adrénaline : le 202i n’en fera certes pas des Sphinx-Colibris mais les hissera vers le grand spectacle comme Pierre Renaud soulève plus de quatre fois son poids. Et si vos enceintes sont froidement analytiques, le vaillant italien saura plaider la diplomatie et le fera avec style, élégance, rejoignant quelques grands amplis très très célèbres et beaucoup plus coûteux.

Timbres :

DIAMs 5 ORANGE copie

 

 

Equilibre tonal :

DIAMs 6 ORANGEs

 EAM Lab 202i 6

 

 

Scène sonore :

Sibelius, la Tempête, Opus 109, musique de scène sur le texte de Shakespeare dans sa version intégrale, chantée en danois (Tiens ?) par une flopée de solistes et exécutée (toujours un double sens dans ce mot, non ?) par le Royal Danish Orchestra fermement empoigné par Okko Kamu chez Naxos.

Superbe prestation de tous les acteurs pour une œuvre rarement enregistrée dans sa version plénière.

Le moins qu’on puisse dire est que l’adaptation musicale du poème est étrange, créant une sorte de distance voire de froideur objective entre la pièce en cinq actes tenant quasiment de l’Heroic Fantasy et son illustration sonore. Identifier Sibelius n’y est pas évident ; cela n’empêche pas la Création du maître finlandais d’exacerber maints moments de bravoures, de prolificité, ainsi que de foisonnement orchestral et souvent rythmique. Pour autant, la teneur dramatique reste conceptuelle.

Les effectifs superlatifs requis par l’œuvre ne sont pas un cadeau pour les ingénieurs du son qui dans ce cas précis s’en sortent vraiment bien : pas de chœurs féminins hystérisés par la dureté de la captation, pas de vociférations des deux mezzo-sopranos (Hanne Fischer et Kai Dahl Nielsen tout à fait remarquables d’autorité et nuances) aiguisées par un mauvais placement de micro.

Passant par les entrailles de l’Element 202i, la scène sonore n’est pas forcément très naturelle. Cependant, elle impose sa propre logique, identitaire, ni idéalement précise ou ponctuelle mais pas absurde, ne serait que parce qu’elle ne varie pas sur les forte, qu’elle ouvre un panorama d’une vaste amplitude, largeur et profondeur imprimant une couleur de réverbération légèrement artificielle pas du tout désagréable.

Ce n’est pas tant un flou d’implantation que la perception de « costumes » souvent XXL pas nettement ajustés. C’est loin d’être déplaisant sur une musique quasi opératique ou en tout cas très scénique telle que La Tempête. C’est plus déstabilisant sur un quatuor à cordes. Sachant que générosité, abondance et souffle - procurant une écoute sereine, onctueuse, où on sent qu’on en a sous le pied - osent ce plaisir indéniable de conduire une opulente limousine de luxe là où d’aucuns préféreront l’excitation d’une berlinette.

Ainsi, les effets de mixage, vraiment variés, sur l’hommage à Ryuichy Sakamototo the Moon and back - par quelques-uns des nombreux artistes avec qui il a collaboré (à moins que ce ne soit le contraire) n’ont pas tout à fait la précision spatiale qu’on sait possible, tandis que l’ambiance est magnifiquement restituée et convient particulièrement à ce mélancolique tribut, couvrant diverses époques musicales du musicien japonais, qui, via un album singulier, respecte plutôt bien sa « vision sonore » pour le moins insolite, classieuse mais, en quelque sorte, réfléchie, parfois même effarouchée.

En conclusion, une scène sonore pas franchement juste mais jamais choquante ou problématique. Or, il faut avoir vécu quelques rares expériences sonores qui exprimaient une meilleure plausibilité au sein d’un éventail déployé entre l’excellence rare et la médiocrité dominante pour le savoir.

DIAMs 5 ORANGEs

EAM Lab 202i 3

 

 

Réalisme des détails :

Je crois que ce qui a été décrit précédemment a déjà fait comprendre une possible érosion des contours où les fronts d’onde négligent parfois les à-pics de la falaise.

Nonobstant, dans ce chapitre comme dans le précédent et le suivant, on constate que le compagnon tranquille, avenant, peut facilement devenir un animal baraqué et ô combien impressionnant.

Ainsi, la bête se réveille-t-elle dès lors qu’on lâche le frein sur le très robuste KEKKAN du producteur kényan Slikback, une électro musclée, rythmiquement charpentée, franchement efficace et très rentre-dedans.

Via le 202i, tout le soin apporté à la production de cette magistrale déferlante est minutieusement décortiqué, dégageant la « brume » qui enrhume les subtilités et détails à niveau plus faible. On n’a toujours pas affaire à un appareil particulièrement résolvant, mais cette sorte de ouate qui définit la personnalité de ce louable géant n’est jamais rondeur, évite toute forme de fatigue auditive même en frôlant la limite de destruction des enceintes et favorise un délié des plus élégants ; et tant pis si les fins de note frémissantes sur la performance sibylline du Quatuor Albion précédemment cité ne sont pas exactement au rendez-vous de l’expressivité.

Maintenant, pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûr d’avoir jamais écouté un ampli à transistors aussi gavé de testostérone totalement satisfaisant sur ce critère, en tout cas pas à ce prix. Autrement dit, ce n’est pas un point discriminant.

Ainsi, dans une œuvre « métaphysique » telle que Atmosphères de Ligeti, ici dans la version par le Sinfonieorchester des Südwestfunks (Baden-Baden, une ville magnifique aux paysages variés et escarpés, pleine de surprises et de dissemblances, où l’on devine que l’argent ne manque pas sans qu’il dénature la beauté) ou encore Metastaseis de Xenakis par le même orchestre, l’intégré héros ferre définitivement la confirmation d’un appareil favorisant la ductilité qui vaut aussi bien sur des enceintes à haut comme à faible rendement.

Sur ce chapitre encore, l’intégré Element 202i est si parfaitement équilibré, ne différentiant jamais telle ou telle zone, que son pouvoir de résolution plus silhouettant que piquant n’engendre jamais la moindre privation, la moindre frustration, à condition bien sûr d’éviter des enceintes floues.

DIAMs 6 ORANGEs

 

 

Qualité du swing, de la vitalité, de la dynamique :

Le swing léger et délicat du dernier Baptiste Trotignon (Body and Soul : faut oser) convient mieux à l’ampli que l’intrépidité endiablée et très très recommandable Motomani de Rosalia qui – elle - est intégralement body (dès la pochette) and soul (dès les premières mesures).

On ne présente plus ni l’une ni l’autre : Baptiste Trotignon a fait ses preuves depuis un petit moment déjà et si ses propositions discographiques sont inégales (je suis gentil), ce nouvel album dégage une forme de sérénité mûre où l’improvisation décontractée (au sens de pas inutilement virtuose) amène une redécouverte intéressante d’un style pourtant éprouvé. Voyage intérieur d’un homme talentueux qui décide de faire le point ? Avant de se lancer vers d’autres continents ?

Ceux visités par l’aventurière Rosalia renvoient au bon vieux temps des colonies puisque son électro-pop débridée nous balade dans un culbutage étourdissant de Flamenco, Salsa et Reggaeton avec une aisance, une malice, une décontraction et une inventivité relativement éblouissantes. Je n’irai pas, comme certains, jusqu’à dire que la Catalane révolutionne la pop, mais incontestablement elle en incarne une figure décalée de premier ordre et semble pouvoir, à 30 ans, nous surprendre encore beaucoup dans l’avenir. Ce qui n’empêche pas de rester sur sa faim : quand on sait l’immense chanteuse qu’elle est et l’intelligence qu’on lui devine, l’album ne creuse pas tout à fait ses talents…

Revenons à nos boutons. Le swing décontracté de Trotignon sied donc idéalement à la fluidité constante de l’intégré italien, nous berçant calmement dans un concert de salon littéraire guindé où par chance la syncope n’est pas à l’ordre du jour. Swing oui, groove, non.

Et, sur l’autre versant, on pourrait espérer plus à l’écoute des élucubrations du brûlot latino épluché par Rosalia qui ose rejoindre les extrêmes entre meuf et moto !

Pourtant, l’énergie et l’ardeur ne font pas défaut et le résultat est entraînant et même physiquement impliquant, ne serait-ce que par la pression sonore. Toutefois, un petit surcroit d’entrain, de vitalité de gaieté ne nous eût pas déplu.

Côté patate, on va passer par deux exercices défoulants :

Break ! de la Néo-Zélandaise Fazerdaze (j’ai une info secrète : c’est pas son vrai nom)

Dont la production est bien ficelée mais le mixage plat. Une pop à n’ancienne très propre, pas vraiment imaginative, que nous classerons pourtant, face à la vacuité du moment, dans le bac pas bien rempli des réussites. Bon : 5 morceaux, elle ne s’est pas foulée non plus. Mais franchement, ça engendre de l’impatience pour la suite !

Le résultat sonore pourrait être plus percutant, l’intégré italien ne venant pas creuser suffisamment de bas-relief dans cette matrice un peu fade ; au moins est-ce très civilisé, m’amenant à la conclusion que nous allons devoir essayer du gros rock ou du métal.

Et je tente Gojira ! Groupe de Métal Progressif français, s’il vous plaît. Et plus précisément leur dernier album : Fortitude.

Oui oui !

Si l’assaut tribal manque de constance, il regorge d’idées, surtout pour quelqu’un qui, comme moi, n’est pas spécialiste du genre ; précisément parce que bon nombre de mes explorations de naguère m’ont renvoyé à une mécanique immergée dans une banale (bestiale ?) efficacité qui s’appuie plus sur la revendication que la créativité. Chouette travail de production par ailleurs.

Reste l’impression, entre les papattes de l’intégré EAM, que les griffes en sont émoussées, privilégiant la souplesse et la pulsion physique qui contournent toute agression et permettent de profiter de sensations abdominales sans avoir les oreilles en sang. C’est une voie très séductrice et clairement maitrisée.

Les couleurs, toujours légèrement blanchies, ne sont ni pauvres ni amoindries par une persistante maille de tamis et les effets de mixage à contrario clairement perceptibles. On n’aurait certes pas détesté plus de punch sur une conquête musicale aussi structurée que vigoureuse avec le corollaire que l’écoute est d’un total confort considérant qu’en augmentant le niveau réapparaît l’ambivalence entre muscles de Caterpillar et douceur contenue, nettoyant de tout survoltage intempestif une dynamique au contraire dosée, veloutée, détorse et subtile.

Se vérifie aussi une lecture du grave incroyablement contrôlée et intégrée, et même plutôt modulante et timbrée.

Même ce type de musique coule sans heurt, policée par une forme d’uniformisation politiquement correcte et donc : universelle…

Un appareil prévenant, qui doit certainement en remontrer à de grosses pétoires oscarisées sans jamais basculer dans la grossièreté ou la simplification.

Et puis pour clore le chapitre, je tente un rapide passage par un disque plus rigolo qu’indispensable : Clark & Dizzy par le Dario Cellamaro Swingsuite5et. Hommage à Clark Terry et Dizzy Gillespie, entre autres, on est ici typiquement confrontés à une formation qui revendique par son nom ce qu’elle ne diffuse que modérément dans sa musique : le swing.

Pas tant qu’il soit absent ; simplement, il ne dépasse pas ce qu’on peut attendre de ces Bigbands japonais fleurissant dans les années 80/90 qui rataient l’essentiel du jazz. Cela dit, ça plaisait beaucoup aux audiophiles puisque ne risquait pas de mettre leurs chaînes fadasses à rude épreuve.

L’Element 202i suit sans problème ces engrenages proprets et ne vient en aucune manière altérer le sympathique enthousiasme d’un gentil swing pour salle de bal de sexagénaires volontaires.

DIAMs 6 ORANGEs

EAM Lab 202i 2

Expressivité et plaisir subjectif :

L’expressivité n’est pas la vocation première d’un appareil aussi réussi que ce 202i, on l’a assez exprimé au fur et à mesure de la rédaction de ce billet.

Si pour vérifier telle assertion on se concentre sur Camilla Tilling chantant proprement Ich Bin der Welt Abhanden Gekommen (Mahler, Rückert-Lieder) dans une bizarre adaptation pas du meilleur goût avec Piano et Violon, on n’en sera pas forcément déçus car la malléabilité tissée par le vaillant transalpin fait mieux passer une performance violonistique sans grand intérêt et un chant lisse pourtant porté par une voix magnifique, au vibrato fugace, pas particulièrement engagé et même légèrement soporifique de la soprano suédoise, flirtant parfois avec la limite de la justesse. Certains diront méditation, je dis ennui.

Vocation, ou manque de vocation qu’on regrettera évidemment en écoutant le même passage par Brigitte Fassbaender tout en vocalité frémissante, en intériorisation attenant au mystique, idéalement accompagnée par Riccardo Chailly et le Deutsches Symphonie Orchester Berlin concoctant un merveilleux écrin chambriste au profit de chaque inflexion, murmure, réflexion de la très grande dame qui n’a enregistré cette œuvre qu’assez tardivement, somme toute (1990 ?)

Aussi, plutôt destiné à des enceintes dont ce n’est pas davantage la première vertu, l’EAM Element 202i trouvera facilement sa place sur le marché du Grand Son car il ne manque ni d’envergure ni de coffre ni de cette douceur accorte – chaleureuse - que beaucoup appellent musicalité, de celle qui devrait opposer le vinyle au numérique ou le tube au transistor

J’avoue même qu’avoir un référent de ce genre sous le coude ne me déplairait pas en diverses occasions car lui tient une ligne de conduite clairement établie, sans faux pas, sans erreur de trajectoire, ce que j’ai certes déjà entendu sur des totors costauds, mais pas au même prix.

Côté cœur, sensibilité, vocalité frémissante, ce n’est pas ça mais je ne me suis pas ennuyé, n’ai pas rechigné à rédiger ce BE, c’est bon signe.

Expressivité :

DIAMs 3 ORANGEs

 

 

Plaisir subjectif :

DIAMs 6 ORANGEs

 

 

Rapport Qualité/Prix :

Conseillé à escient, c’est incontestablement un appareil à prendre en compte car ce qu’il est supposé faire, il le livre sans faux col ; dès lors, son prix se relativise grandement !

DIAMs 6 ORANGEs

 

 

EAM Lab 202i 1

Banc ecoute