à l’oreille





Bel et bien les saveurs de l’Italie

par LeBeauSon - Novembre 2020


Joyau italien, tout-en-un lecteur-réseau / DAC / Amplificateur intégré (avec entrée phono MM/MC paramétrable). Jolie petite chose très complète, elle satisfera ceux qui ne veulent pas s’embêter avec la hifi sans renoncer à une musicalité supérieure. Une bonne petite platine, un Frankie « + » et hop…

Sa verve musicale propulse l’élève Frankie « + » vers la classe supérieure, musicalité qui n’est pas obtenue par une flatterie ou une obligeance lassante, ce qui place cette bien réjouissante découverte sur une pensée de long terme. 

C’est lui qui nous a convaincu qu’il était de temps de nous engager à mettre en lumière certains objets qui hissent la tête au-dessus du lot, quelle qu’en soit la catégorie (ou niveau de gamme). Nous lui attribuons notre premier Diamant LeBeauson.

Frankie 6

Perception d’ensemble

On pourrait avoir l’impression d’une relative indulgence pour les appareils dont je rédige les bancs d’essai. On aurait tort : après que nous avons choisi de ne pas publier les articles où j’ai dézingué des trucs qui ne méritaient que la poubelle (de luxe en l’occurrence), j’ai décidé de refuser de perdre mon temps à dégoiser sur les bidules que je trouve indignes, n’en déplaisent aux concernés, parfois même des copains. Et personne à la rédaction n’a voulu prendre le relais afin de ne pas déconsidérer notre démarche. S’il arrive un jour que l’un de nous aime un appareil qui me déplaît (pourquoi pas, après tout), nous exposerons à la rigueur nos désaccords mais n’exclurons pas l’objet du dilemme.

Donc, il y a un filtrage avant publication. Le temps nous contraindra peut-être à procéder autrement, mais je ne vois pas ce qui, de mon côté, devrait me faire lever mes « protections ». Mon souci concerne celui qui acquerra l’objet du test, pas la susceptibilité du concepteur ou distributeur.

Pas de souci avec le bijou du jour :

Le Frankie « + » de Serblin & Son est un vrai régal, les saveurs d’un meilleur Risotto, la nervosité onctueuse d’une Quattroporte, la tenue de route d’une GT…

Son design élégant lui permet de s’intégrer dans n’importe quel intérieur.

Appareil complet, voire autarcique, je connais bon nombre de couples modernes plus soucieux de musique que de hifi (mais c’est valable pour des célibataires qui ont du goût et de l’appétit) qui seront heureux de le poser sur une jolie console à côté d’une platine vinyle sobre et qualitative sans subir l’agacement d’exhiber du «matos», sachant que sa verve musicale propulse l’élève Frankie « + » vers la classe supérieure, musicalité qui n’est pas obtenue par une flatterie ou une obligeance lassante, ce qui place cette bien réjouissante découverte sur une pensée de long terme.

DIAMs 2Orange 4Bleu

 

 

NB : code couleur de nos Diamants pour ce modèle : Bleu (de 1600 € à 3200 €) et Orange (3200 à 6500 €) si nous estimons que sur un des critères, l’objet aurait sa place dans une tranche supérieure de prix)

 

Un joli appareil qu’on m’a confié là.

Il ne m’a pas fallu longtemps pour vérifier ce que j’ai supposé en découvrant la marque Serblin & Son : il y a un lien de parenté direct avec le célèbre Franco Serblin, fondateur de Sonus Faber ; pas forcément ma tasse de thé, mais quand même, c’est un nom qui cause ; il a ensuite créé sa marque sous le nom de Franco Serblin. Après tout, pourquoi ne pas utiliser une forme de célébrité ? Notre époque est friande de storytelling…

C’est au fils de s’y mettre, mais lui choisit de produire des électroniques dont le premières se veulent un hommage à Papa, d’où le nom du bébé testé ci-dessous : Frankie.

N’est pas Sinatra qui veut !

En l’occurrence Frankie « + » sachant que le Frankie sans « + » est identique à l’exception de la partie DAC et lecture réseau. Donc un ampli intégré. J’aurais pu le dire comme ça aussi…

Autrement dit, avec un seul joujou nous allons pouvoir en présenter deux. Ca multiplie les manœuvres, mais bon quand il faut…

                                                      

Joli ai-je dit ? Je suppose que certains détesteront, ne serait-ce que par principe ; je peux comprendre que le mariage de trois matières, bois, chrome et alu soit à la limite de l’un peu « trop », de même que les striures marquant les angles, mais je n’ai pas ressenti la présentation ainsi : j’ai vu un objet qui, employé seul ou accompagné d’une platine vinyle bien choisie, trouvera sa place sur n’importe quelle console ou étagère, dans un univers contemporain très dépouillé, rigueur de blanc et de gris taupe, comme dans un intérieur plus rococo.

Personnellement, je trouve qu’il a vraiment de l’allure, de la classe même, le seul bémol étant peut-être la forme des boutons.

Bref, une façade en bois (du noyer ?) aux angles arrondis et striés jusque sur le flanc, prise en sandwich par deux fines plaques d’aluminium « naturel » finement microbillé, où le nom de la marque est gravé sans ostentation devant les fentes d’aération sur le quart gauche de la plaque supérieure, alignées sur « Frankie » gravé dans le bois de façade. 2 gros boutons à droite de la façade, chromés et eux aussi aux bords arrondis entourent une barre verticale de 4 leds qui désignent les entrées. L’éclairage est un peu fort, d’autant que les 4 leds sont toujours allumées pendant l’utilisation et l’entrée sélectionnée apparaît en rouge au milieu des autres en jaune.

Quatre jolis pieds en alu disposés dans les coins peaufinent le côté luxueux du bibelot.

On est pile à la frontière entre la justesse de ton et le début d’outrance du style italien au sens large. Mais le design a un pedigree et ça se voit.

 

Je ne répète pas le couplet destiné aux non-initiés qui iront directement à l’écoute en sautant le descriptif.

 

Ce tout-en-un « design » est vraiment complet :

- lecteur de réseau UpNP / Dac 24/192 (en version « + » donc)

- le Dac n’est accessible toutefois que par deux entrées Spdif, une coaxiale RCA et l’autre optique

- une entrée phono MM/MC réglable par deux pavés de switches et donc quasi universelle ; il y a toutefois un grand saut en MC entre une impédance de charge de 100 à 1000 ohms mais ce n’est pas bien grave finalement. On devine que cette entrée passe par une série d’amplis opérationnels (par opposition à un seul qui fait tout) ce qui n’est pas fréquent dans les entrées phonos d’un instrument de ce prix. Autrement dit, pas une entrée phono au rabais.

- une entrée analogique XLR

- deux entrées ligne RCA

- une entrée mini-jack. Curieux.

- une entrée USB destinée à une unité de stockage mais à pas à une liaison depuis un player extérieur.

- une sortie pré-out RCA

- la même en mini-jack avec la question corollaire : peut-on l’utiliser pour un casque ? Je ne sais pas.

Petite curiosité : les sorties HP sont prévues uniquement pour des fiches bananes ! C’est normé EU ça ?

- 2 x 75 w sous 8 ohms (2 x 110 sous 4, étonnant, il semble plus costaud que ça)

- 430 x 78 x 317 pour 12 kgs

Ce modèle est au milieu d’une gamme Frankie qui prévoit aussi des éléments séparés et précède un gros intégré avec une gueule radicalement différente qui ressemble à une montre posée sur le flanc dont le nom est Raptor.

 

Quelques bizarreries d’utilisation pratique laissent perplexe.

Par exemple : les entrées numériques impliquent de sélectionner l’entrée phono. Elles prennent alors le pas sur le phono. Autrement dit, si le streamer tourne, l’entrée phono est bloquée, il faut d’abord arrêter le flux numérique pour avoir accès au signal venant de sa platine. Pas bête : voilà qui évite un problème qui a créé quelques crises d’urticaire chez Devialet par exemple, où le flux numérique engendrait des plop-plops sur le phono.

Ne me dites pas non, je l’ai vécu.

A propos de choix d’entrée : pas de télécommande, tout passe par le smartphone ou la tablette, choix des entrées ou du volume à distance nécessitent l’appli maison qui communique en Bluetooth je suppose. Laquelle en revanche n’est pas liée à la lecture réseau qui requiert une autre appli : AirLino ; on peut cependant préférer MConnect ou Bubble. Bonne nouvelle : en passant par ces applis universelles, on détecte quand même une clef USB ou équivalent directement enfichés sur Frankie.

Non, ça ne va pas de soi.

L’appli AirLino est indispensable pour une première connexion wifi. De mon côté, j’ai branché en RJ. Je n’ai pas testé Bluetooth ni Airplay qui ne font pas partie de mes protocoles. C’est pratique, mais bon.

A noter, à propos d’utilisation : Frankie s’éteint après 15 mn sans musique. Un bien pour un mal, je suppose.

 

Détail amusant, le prix, ou plutôt les prix :

- Frankie coûte 2750 €, prix public indicatif bien sûr

- Frankie « + » (donc avec streamer et DAC ) : 2 990 €.

Cherchez l’erreur.

 

C’est amusant parce que chez un de nos fabricants bien aimés, ça le met en comparaison avec deux outils de gammes différentes.

Ecoute réalisée sur des enceintes Mulidine Cadence et Cadence « ++ », Davis Acoustic Courbet 5, Dyptique DP 140 (combinaison surprenante (dans le bon sens) mais bon, s'il y a des limites, Frankie plaide non coupable) et Harbeth 30.1.

                                                               

La platine vinyle est une Acoustic Solid « Solid Edition » équipée d’une nouvelle version du bras WTB 213 et d’une cellule Hana SL. Nous avons complété les écoutes vinyle par la très jolie Michell TecnoDec + cellule Hana EL.

Câblage Absolue Créations série In-Tim, Neodio, Wing et MudrAkustik.

Précaution préliminaire : j’ai reçu un engin neuf, jamais déballé. Avant que nous ne débutions les essais, je l’ai bien fait tourner en sourdine pendant une cinquantaine d’heures, mais est-ce suffisant ? Il n’est donc pas impossible que la petite précaution oratoire émise parfois ne tienne qu’à quelques heures de patience.

 Frankie 7

 

RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL :

En lecture réseau, la nouvelle proposition par François-Xavier Roth de la Symphonie Fantastique de Berlioz (Hector ? Hector !) (en live) permet de débuter dignement notre essai.

Car, ce n’est pas seulement la pureté crue des instruments  dits « anciens » de l’ensemble Les Siècles qui nous régalent par le relais de Frankie, mais la souplesse des glissements et portamenti remarquable et quelques amortis superbes d’une vision refusant l’éclat ou le show commode, qui attisent notre intérêt de bout en bout. Je crois même que, sur un autre système, j’ai failli passer à côté de cette antépénultième avant avant… avant-dernière nouvelle version. La volonté de transparence voulue par F-X apparaît sans l’ombre d’un doute dans un faisceau de couleurs voluptueuses - pas capiteuses ! - et sublimées, possiblement moins définies sur les forte, alors un peu plus contraintes et désunies. Réserve à considérer avec des pincettes car en plaçant le transalpin sur des supports Franc Audio, ou des Isopoint que je dois essayer plus à fond, le petit désagrément est grandement atténué.

Sans révolutionner la discothèque, la nouvelle proposition de M. Roth et ses musiciens présente une indispensable alternative, je n’irai pas jusqu’à dire chambriste, mais en tout cas très limpide. Au milieu d’une ribambelle de versions sans intérêt ou tout juste spectaculaires, la poésie délicate du coloriste, faisant fi du grinçant démoniaque d’Hannibal Hector, vaut qu’on s’y promène et même qu’on acquiert le beau fichier HR.

Excellent départ.

Nous avons profité de ce beau disque pour balayer d’emblée la question de la qualité lecture réseau et DAC : soit, en passant par une solution lecture réseau + DAC extérieur (donc en ramenant le Frankie « plus » à la version Frankie simple), nous avons pu découvrir des qualités supérieures à la carte interne de l’italien (richesse harmonique, plus d’air autour des instruments, attaques un rien plus incisives et meilleur maintien des séparations de lignes et couleurs sur les forte), mais à quel prix ? En l’occurrence : 7 000 € de plus.

Si je pourrais être de mauvaise foi car j’aime l’Italie (pas au point de me pâmer à l’écoute de Sonus Faber, sauf exception), mes deux comparses du moment n’ont pas la même idée fixe et ont cependant partagé mes conclusions. Sachant que je les laisse toujours parler en premier. Et j’aime aussi l’Allemagne. Et l’Espagne, et… Euh… Et La France, Môssieur !

Un Node 2i, dont le rapport qualité prix est excellent, utilisé via son convertisseur fait nettement moins bien en dépit d’un câble de modulation sans reproche ; et, nanti d’un excellent câble numérique très coûteux branché sur le DAC de Frankie, faisant donc basculer le rapport qualité/prix de l’ensemble, il reste loin loin en dessous du mode direct de Frankie « + ».

Quand je pense qu’on ne voulait pas faire des bancs d’essais trop spécialisés…

Et sur absolument tous nos critères, je ne le repréciserai donc pas dans les rubriques suivantes, nous avons globalement préféré le côté plus chantant, plus impliquant de l’intégré italien via la modulation XLR qu’un de nos actuels référents au même prix dépourvu de fonction lecture réseau.

                                                                                                           

Mais est-ce bien l’idée qui suggérera l’acquisition du Serblin ? Non, je ne crois pas : une platine vinyle à la rigueur en accompagnement de la version « + » et rien d’autre.

A bien réfléchir au moment de choisir entre Frankie et Frankie « + » donc, puisque, franchement, la fonction streaming est remarquable.

Sur SulaMadiana, récent album de Mino Cinelu et Nils Petter Molvaer, on entend que l’équilibre tonal est possiblement descendant, surtout via la lecture réseau interne, au risque d’une petite insistance dans le bas, largement tenue par une énergie pour le moins surprenante vu le gabarit du ténor Serblin. Equilibre descendant ou matité triomphante ? La question reste ouverte à ce stade.

L’album des deux grands world-jazzmen s’aventure dans quelques zones basses du spectre en gardant une totale limpidité, même si on comprend que la vocation du réglage tonal du Serblin favorise le corps plutôt qu’une analyse artificielle. En revanche - quitte à prendre de l’avance dans les rubriques -, les souplesses de modulations rythmiques font peut-être de cet appareil une référence à ce prix, et tant pis pour le léger « surlignage » qui ne nuit pas une seule seconde à la gourmandise de dévorer intégralement la belle succession de cartes postales de tous les continents à travers les filtres colorés de Molvaer qui, face à l’inouïe capacité de renouvellement de Cinelu, marque un peu le pas côté créatif. Un bien chouette opus cependant.

On vérifiera immédiatement les particularités tonales en dégustant l’originale adaptation de Daniel Humair, « Original Dixieland One Step » extrait de 1291 où le batteur infatigable (et même, me semble-t-il, plus frais que récemment encore) et ses complices exceptionnels Samuel Blaser (trombone) et Heiri Känsig (contrebasse) nous amusent comme ils semblent s’amuser dans cette déstructuration rythmique vitaminée. Les couleurs du trombone et des fûts ou cymbales, comme la perception du cuivre et des peaux, sont soutenues par un estimable sens des matières, probablement dû au corps qui fournit du grave à l’aigu (c’est très sérieux : une notion sur laquelle il faudra que je revienne un jour car, naturellement présente dans la vie, elle est souvent absente dans la hifi ou travestie en « épaisseur »), et si cette assise tonale peut se traduire par la sensation d’une contrebasse un peu ventrue, ladite perception est contrebalancée par la pression étonnante que procure le séduisant Italien, moteur bourré de couple pas fréquent sur des intégrés de cette gamme qui évite l’épaisseur au profit de la consistance.

                                                                                                     

Revenons par le vinyle à l’onirisme et la musique française avec la présentation, sorte de référence « classique » (au milieu d’autres références) des Nocturnes de Debussy par Paul Paray avec le Detroit Symphony en 1962 chez Mercury, pressage original : elle démontre qu’à défaut d’une finesse idéale des traits et lignes (encore que, au prix où est Frankie « + »), les couleurs fusent et sautillent, plage harmonique étendue accompagnée d’une densité particulièrement crédible des matières qui ne tournent pas à l’excès de corps, ou alors à peine sur les forte ou quelques passages donnant une large place aux violoncelles et contrebasses. Frankie respecte la touche impressionniste des coutures et dentelles fines de Debussy, ainsi que les éclats brefs et vigoureux via une large étendue tonale, sans luminance controuvée mais définissant parallèlement des archets et caisses de résonance de violon légers et des cordes filant librement…

Un moment de pure splendeur où ne se pose plus la question du prix de l’objet émetteur.

Timbres

                                                                                         

DIAMs 3Orange 3Bleu

 

Equilibre tonal

DIAMs 6Bleu

Pour mémoire, un appareil de la gamme du Frankie devrait être noté en diamants bleus. Les « orange » signifient la place qu’il pourrait revendiquer au-dessus de sa catégorie.

 

 Frankie 8

 

SCÈNE SONORE :

La palette généreuse et ouverte d’Obverse (Trentemøller, 2019) révèle une mise en scène précise par l’entremise de Frankie. Mise en scène pourtant mouvante dans un univers parfois « ambient », revisitant la Motorik du Krautrock d’antan, boucles et pétillements, modelé de textures pleines et ourlées, errant autour de points fixes concrets, une voix une note une nappe ; l’ensemble, à défaut de bouleversant, est hypnotique, évolutif, surprenant parfois (« Giants » par exemple aux développements oblongs et énigmatiques qui évoquent Jóhann Gunnar Jóhannsson (Sicario ou First Arrival)) et la musique réussit à la fois à nous immerger mais aussi à placer des bouées, des fanaux dans les cheneaux que Frankie ancre profondément dans l’espace. Je veux dire profondément dans le sol, parce que la seule petite réserve que je pourrais émettre face à ce bien attachant jouet, c’est précisément que la scène manque peut-être d’un rien de profondeur, surtout en rapport avec son étalement libre en largeur.

Je reste un instant sur la louable création du danois pour réitérer l’impressionnante poussée que sait déployer Frankie dans le bas du spectre, tenant fermement sous tension musclée les sous-couches de modulations chargées d’Obverse, passant ainsi outre la légère complaisance tonale et procurant un groove inattendu.

La perspective un peu courte s’épanouit en vinyle, à preuve les thorax déployés sur Arcana de Varèse par Zubin Mehta en 1976 (Los Angeles Philharmonic publié par London), dans une vision moins austère, plus décontractée mais aussi paradoxalement moins mystérieuse et expressionniste que la bonne version Boulez (je veux dire celle chez CBS par opposition à la plus récente chez Deutsche Grammophon). Le chef indien incarne moins la magie ou les contrastes divers que la beauté sonore, s’éloigne de Stravinsky pour opposer des couleurs plus pointillistes et le résultat est éblouissant et exaltant. On entend néanmoins très bien en quoi Varèse a inspiré Frank (tiens ?) Zappa : ruptures rythmiques pour pirouetter du lascif au tressautant, soudaines dissonances des cuivres, rigueur sérielle jaillissant en séquences totalement folles… On profite à fond de la créativité brute du musicien (peu prolixe et qui, comme Webern dans un autre genre, semble vouloir concentrer toute la musique en un temps minimal) avec Frankie qui pose aussi bien les couleurs qu’il définit les espaces. Les réserves éventuelles sur l’équilibre tonal sont balayées par la beauté sonore, l’énergie sous contrôle, l’ampleur de la scène et la précision des matières des pupitres. La louable matité du Frankie, sur laquelle je reviendrai plus loin, évite, dans cette fête de teintes et envols de Phénix, le moindre artifice, la mise en lumière par coup de flash d’un éclat de détails qui ruineraient la cohérence nécessaire à une réception introspective de l’œuvre qui le mérite grandement.

On comprendra évidemment qu’il ne faut pas comparer cet humble transmetteur avec son illustre compatriote Grandinote Shinai, ou un gros Accuphase, mais que dans un budget clairement plus raisonnable, non seulement on ne sera pas floué, mais on pourra se faire plaisir pendant très longtemps. Certes avec un budget platine relativement conséquent lors de notre essai (la combinaison doit coûter environ 7 000 € avec bras et cellule). Mais c’est toujours intéressant de voir jusqu’où peut aller un bon outil.

L’explosif Bad Memory de K-Flay (en HR, retour à la lecture réseau) bastonne une flamboyante gaité et aussi bien les effets connotés hip-hop, riffs de guitare décalés dans ce monde codé, que les basses charpentées, jalonnent une scène structurée et stable ; et si là encore on peut s’interroger sur la possibilité d’un peu plus de profondeur et un petit resserrement sur les moments qui poussent, on peut vite l’oublier sous la nervosité énergisante.

Quant à la dame, autant ce morceau est rigolo et narquois, pêchu à même de faire danser les empotés timides trainés de force dans n’importe quelle boîte de nuit (quand elles rouvriront), autant je regrette que, dans sa volonté de se démarquer des standards lassants du hip-hop, elle n’aille pas jusqu’au bout de la démarche, se contentant d’un phrasé différent dans un univers d’arrangement d’à peine un pas de côté. Dommage : en dévorant Bad Memory, on devine qu’elle en a sous le pied.

En lecture réseau :

DIAMs 1 Orange 5 Bleu

Sur des supports Franc on pourrait mettre plus, mais n’est-ce pas un peu dommage sous un dessin aussi affirmé esthétiquement d’ajouter des supports ? Ceci étant, j’ai essayé de placer le Serblin sur des « Isopoint » que j’ai reçus pour tests : le résultat va dans le même sens et l’accessoire, par sa forme de soucoupe volante des années 50, se marie mieux avec l’intégré italien.

En lecture vinyle :

DIAMs 2Orange 4Bleu

 

 

 Frankie 10

 

RÉALISME DES DÉTAILS :

En vinyle sur le Debussy de Paray, on apprécie tout particulièrement le superbe filé des notes sur les pianissimi qui, en outre, ne se délite pas, ne disparait pas, conservant une densité qui rappelle la classe A réussie. La définition exquise se perd légèrement quand l’image sonore est volumineuse mais reste parfaitement homogène d’un bout à l’autre du spectre, au demeurant plutôt large comme on l’a vu plus haut et suivant des ondulations de modulations en évolutions constantes, sans mise en lumière intempestive d’un quelconque segment tonal ou d’une éventuelle absence de telle ou telle particularité de la lumineuse et colorée instrumentation.

                                                                                          

Tout ceci confirme la matité de la reproduction, ce qui à nos oreilles est un compliment, quand bien même l’absence de tout artifice (réverbération systématique, éclairages à coups de spots) peut donner l’impression de gommer des détails. Pas du tout. Je ne vais pas affirmer que le pouvoir de résolution de Frankie est le plus exhaustif (solécisme ? Je suppose) du monde, mais il est de très haut niveau et la plénitude en est absolument irréprochable, jamais encombrée de la moindre scorie de trucage plus ou moins galant.

En savourant le nouvel Elysian Fields, Transience of Life en HR, si la voix de Jennifer Charles est toujours aussi divinement veloutée, paresseuse et envoûtante, on ne peut pas dire qu’il y ait de grands moments qui surplombent ce calme ouvrage au déroulement languide et un peu répétitif. Pas le meilleur du groupe et cependant recommandable. Le pouvoir de séparation d’une électronique, quelle qu’elle soit, est en revanche mis à rude épreuve pour décrypter les inflexions nuancées, les rythmes engoncés, les lignes de guitares enfouies dans un climat globalisant - où même cymbales et hi-hat sont « softés » - si l’on veut transformer le possible ennui soporifique en découvertes d’infimes variations alternées. Frankie franchit haut la main la nécessité expressive !

Sa propre tendance à la suavité n’encrasse absolument pas les étirements de chat du groupe new-yorkais mais au contraire nous promène à notre aise dans un univers fluctuant, où aucune strate filandreuse n’est semblable à une autre. Et si sur un concurrent repère nous avons l’impression de plus de détails, il ne faut pas longtemps pour comprendre que c’est obtenu par excès de lumière, alors que la matité implacable de Frankie n’en délivre pas moins quantitativement mais ne les surexpose pas, les intronise à leur place et leur densité naturelle, qui plus est dans une cohérence indiscutable sur l’ensemble du spectre.

Inconvénient d’un tel choix : sur des enceintes un peu cotonneuses ou pas très réactives comme il en existe beaucoup trop, on manquera de mordant et de précision. Ça ne signifie pas que Frankie à tort, mais qu’il vaut mieux choisir des enceintes expressives (de toute façon, de notre point de vue, c’est un prérequis) ou à minima assez rapides, voire claires. Je m’aperçois que, une fois encore, je suggère de choisir par compensation. Si possible, optez pour de vraies bonnes enceintes, point final.

D’autant que Frankie fait plus dans le velours (pas la mollesse) que dans l’incisif : ainsi sur la Rhapsodie Op 79/1 de Brahms sur l’indispensable parution d’Alexandre Kantorow chez Bis, les attaques du piano certes ne roulent pas, contrairement au constat récurrent sur des amplis même très chers, mais n’ont pas tout le mordant, voire le poids de quelques collègues d’anthologie (plus coûteux (ou un à tubes ; si si, c’est possible)). Est-ce un problème ? Pas du tout si l’enceinte ne vient pas endormir les appuis et d’autant moins que le phénomène s’atténue lorsque l’ampli est bien chaud.

Mais comment maintenir au chaud un tâcheron des normes qui s’éteint au bout de 15 mn sans musique ? Les règles internationales ou le respect de l’environnement conduisent parfois à des contresens, d’autant que la consommation en veille d’un machin de ce gabarit ne dépasse guère, voire pas, celle de la box de la maison qu’on laisse en permanence sous tension…

Personnellement, j’ai fait tourner l’appareil en boucle la nuit sur la Tétralogie via une clef USB, en sourdine. Mes voisins - comme hallucinés - ne comprennent pas pourquoi le matin, ils sifflotent obstinément La Chevauchée des Walkyries

Mais je n’ai rien contre l’idée que le concepteur nous apporte une solution optionnelle pour by-passer l’extinction automatique.

DIAMs 1 Orange 5 Bleu

 

 

QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE :

Cet ampli, à défaut d’être le plus rapide de la planète, pulse vraiment.

Belle démonstration d’énergie pour accompagner l’éruptive revendication de Jehnny Beth dans le mordant, fracassant et entortillé « I’m the man » où la frappe brute devient un manifeste viril, scandé par l’étrange voix corrosive de Jehnny qui évoque celle blessée de Marianne Faithfull, dont la fêlure serait galvanisée par la ferveur de Patti Smith. Oui, la chanteuse est française mais les arrangements chauffés à blanc, enchevêtrés comme les Kompositionen VI et VII de Kandinsky, et la voix fondue dans le fatras sont totalement anglo-saxons. Or Frankie ne se perd pas un instant dans la furie jaillissant à la gueule comme une cocotte d’huile bouillante !

Si « I’m the man » est un des deux titres les plus énervés, la totalité de l’album To Love Is To Live est incandescente (superbe pochette soit dit en passant, où la pose statuaire de l’artiste ne laisse pas supposer l’errance irradiante de l’album), textes introductifs déclamés par une belle voix d’homme (Cillian Murphy ??), ou celle de Jehnny déformée, extraits d’interviews – qui pourrait rappeler le « spectacle » Easy Alice de Liesa van der Aa à la grande différence que Jehnny Beth ne veut pas d’alter ego pour au contraire affirmer ses convictions sans fard -, atmosphère citadines, introduisent complaintes dignes, ballades sensuelles, serments fiévreux et coups de gueule de la chanteuse de « Savages », groupe post-punk londonien plutôt déchaîné ; les successions de titres aux climats forts et engagements rythmiques et sonores alambiqués, sinuent sur un sens de l’enchaînement, une fluidité des corps ondoyants résolument originaux et intenses, composant une insolite structure hybride, curieusement urbaine (Rive Gauche parisienne ou Underground de bon ton), slalomant d’un seul tenant entre minimalisme intime, jaillissements d’acier en fusion – concis, cadrés, ardents - provocations sexuelles et langoureuses exigences dans une sensualité mélodique à l’aube de la sophistication, coups de poings dans la tronche et supplications passionnelles, parfaitement articulés autour de la voix de Jehnny, loin d’être la plus sublime du monde, certes, mais : la dame sait chanter comme peu d’autres, imposant une autorité ambivalente ; ce que ses acolytes qui ne sont personne d’autres qu’Atticus Ross, Flood, Johnny Hostile ou encore Trentemøller, le tout sous la houlette technique d’Alan Moulder, ont parfaitement compris : la cheffe a du chien et un talent bien au-dessus de la norme, créant un album qui ne ressemble à aucun autre, où jamais la moindre longueur surnuméraire ne se fait sentir et où aucun courte série de mesures ne laisse supposer ce qui nous attend au virage suivant et surtout où le goût est raffiné jusque dans les morsures…

Un must absolu de la rentrée et un petit chef d’œuvre gravé dans la longue histoire de la musique.

Retour à 1291, Humair and friends : si sur une machine que nous aimons beaucoup, on peut croire écouter plus de notes dans l’intervention éblouissante, écoulements de crescendos et decrescendos du contrebassiste en début d’« Original Dixieland One Step » déjà cité, on s’aperçoit que c’est par extraction, un léger creux des matières accentuant l’exposition ; or, non seulement il ne manque pas une note sur Frankie, mais la virtuosité factice s’efface au profit d’une plénitude de swing particulièrement décontractée digne du Grand et immortel Frank.

Mouais, je vous l’accorde, la transition était facile, mais comment tester un appareil qui s’appelle Frankie sans un petit passage par… Dean Martin ? Mmhh ?

… « C’est si bon »…

Titre extrait de l’album French Style (1962) ; bon d’accord, Dean Martin, côté crooner, n’est pas tout à fait à la hauteur du patron* ; toutefois, puisqu’à la fin de « c’est si bon » il fait un clin d’œil à son pote Sinatra et que, quand même, question swing il se débrouille parfaitement dans la veine nonchalante du « il fait si bon vivre », la chronologie a du sens.

Bonheur garanti via le désormais bien-nommé Frankie ; aussi bien la complicité souriante de l’orchestre de variétés, cordes en avant, que la voix délicieusement narquoise de l’« Américain à Paris », nous téléportent dans les rues d’un Paris de cartes postales vu par Vincente Minnelli (tiens, un Italien ? Eh bien…… Non !), grandement reconstruit en studio, plus beau que nature, nous immergeant dans le plaisir d’admirer (certes dix ans plus tôt) un Gene Kelly romantique s’emparant de l’espace, bondissant ou radieux dans ses belles déclamations amoureuses, ses clins d’œil délicieux, ses sourires de 36 dents, son hommage naïf à la capitale de rêve autant qu’à la ravissante Leslie Caron.

En guise de conclusion après ces virevoltes endiablées dans la fièvre, pour un intégré, et même un tout-en-un à transistors à prix encore contenu, le Frankie est un des meilleurs élèves de la classe et surpasse nos repères habituels. Pour en devenir un, ça va de soi.

DIAMs 1 Orange 5 Bleu

 

EXPRESSIVITÉ :

C’est toujours un critère difficile puisque, en soi, il ne devrait pas être relativisable. Mais l’exercice du banc d’essai y contraint.

Sans être un modèle définitif du genre, je reconnais à Frankie que, là encore, il est un des (le ? A ce jour parmi la ribambelle d’amplis testés dans cette gamme, oui) meilleurs élèves de sa catégorie ; il n’engendre ni frustration, ni ennui, ni impression d’artifice, toutes qualités au bénéfice d’une tendre humanité.

Bien sûr, on aimerait des cordes un peu plus incisives sur le Quatuor Op. 29 « Divorce » de Fazil Say par le Goldmund Quartet (aucun rapport, évidemment, avec la marque suisse discutable de Autre-fidélité ni probablement avec l’un des jalons de la littérature allemande « Narcisse und Goldmund » de Hermann Hesse) ; pour autant, la différentiation des jeux croisés des allemands vitalise aussi bien l’élan vif du premier mouvement que les mystérieux murmures de l’Andante ; aussi, à défaut de révéler au mieux les êtres de chair et de sang, Frankie nous fait néanmoins découvrir les hommes derrière les instruments et c’est suffisamment rare sur des amplis à transistor de cette classe de prix pour être souligné.

D’autant qu’on montera naturellement d’un cran à la lecture vinyle du « féerique » échange de deux musiciens surnaturels, Egberto Gismonti et Naná Vasconcelos, Duas Vozes, où aussi bien la transcendance scénique, les prouesses sobres mais chamarrées de Vasconcelos comme le pinceau habile de Gismonti déposant la beauté sur la toile de nos émotions nous conduisent à l’ivresse, à la transe soyeuse et nous laissent pantois, en apesanteur lorsque la pointe de la cellule bute en fin de sillon, nous contraignant à nous extirper douloureusement du bienveillant engourdissement.

DIAMs 1 Orange 5 Bleu

 

Frankie 9
                                          

                                              

PLAISIR SUBJECTIF :

De notre côté, mes co-auditeurs et moi attribuons sans hésitation la note maximale au Frankie « + » car ce tout-en-un complet remplit de nombreuses cases du Bon-Vivre :

- son design élégant lui permet de s’intégrer dans n’importe quel intérieur

- complet, je connais bon nombre de couples modernes (mais c’est valable pour des célibataires qui ont du goût et de l’appétit) qui seront heureux de le poser sur une jolie console à côté d’une platine vinyle sobre et qualitative sans subir l’agacement d’exhiber du « matos hifi ».

- sa musicalité propulse l’élève Frankie « + » vers la classe supérieure

- sa musicalité n’est pas obtenue par une flatterie ou une complaisance lassante, ce qui le place sur une pensée de long terme.

DIAMs 2Orange 4Bleu

 

  

RAPPORT QUALITÉ/PRIX :

Ben, la réponse est expliquée une rubrique au-dessus.

Je considère que la note vaut aussi bien pour la version complète (Frankie « + ») que la version simplifiée (Frankie).

Si on veut pousser son compagnon plus loin, on pourra toujours choisir la version base puis ajouter un excellent DAC relié en XLR, quitte à le cacher dans un meuble pour ne pas gâcher le plaisir visuel du Serblin ; mais attention, la note est nettement plus salée. Toutefois Frankie le mérite, quitte à acquérir Frankie « + » et le faire évoluer plus tard car on parle d’un compagnon de long terme.

DIAMs 2Orange 4Bleu

 

 

* par le patron, je veux dire Frank Sinatra. Pas le mien. Le mien, côté chant, est à peu près aussi juste qu’une griffure d’ongles sur un tableau d’école et expressif qu’un pneu usagé sur une pile d’oubli.**

** vous reconnaîtrez que je fais tout pour me faire virer !

Banc ecoute