EAT E-Glo Petit
par LeBeauSon - Décembre 2020
Perception d’ensemble
On ne s’est pas ennuyé une seconde avec le joli joujou, on a multiplié et enchaîné les albums sans chouiner ou renâcler, séduits par cette féminité raffinée.
Fluidité et ductilité des teintes, tendance édulcorées, soit, créent un climat léger, où la finesse prend le pas sur l’incarnation.
Ce mimi préampli-phono revendique une cohérence d’analyse sur un large spectre, sans jamais perdre sa tranquille élégance et c’est essentiellement pour connaître un ou deux rivaux plus folâtres dans une gamme comparable (euh, en fait : un ; au milieu d’une inutile énumération !) qu’on émet une légère réserve coté swing puisque, dans l’absolu, on ne ressent jamais un manque.
Ses traits de caractères affirment une orientation vouée à la pureté des contours, plus Valseur que Lindy Hopper.
Ajoutons que c’est un petit objet coquet que l’on aura plaisir à poser à côté d’une belle platine, un appareil aux réglages accessibles et à l’esthétique délicate et agréable, bref : un préampli qu’on montre fièrement !
NB : code couleur de nos Diamants pour ce modèle : Vert (100 à 1600 €). La couleur fera plaisir à Jozefina !
EAT (European Audio Team), nous en avons déjà parlé dans nos colonnes.
Société autrichienne, dirigée par Jozefina Lichtenegger et appuyée sur les infrastructures Pro-Ject pour la fabrication, les productions EAT – grâce au talent de Madame - se distinguent notablement de leurs cousines germaines.
Nous en avons déjà parlé car nous avions particulièrement apprécié la petite platine Prélude, entrée de gamme de la marque.
Qui dit platine vinyle dit préampli-phono ; nous avons aussi publié un article à ce sujet, cf. la rubrique guide.
Et donc, pourquoi pas un EAT ?
Cette fois encore, il s’agit de l’entrée de gamme du fabricant, sachant que les modèles s’étagent de 1 350 € (le E-Glo Petit) à 6 250 € (E-Glo-Gros ?) (incluant une alimentation séparée maousse).
Celui qu’on nous a confié est tout petit, très mimi avec ses deux épaisses joues en bois encadrant un étroit coffret en aluminium très clair. En bas à gauche, l’élégant logo vert de la marque et au-dessus, centrées, deux lignes de LED très discrètes en façade pour indiquer le choix de capacitance et de gain. Ouais, c’est technique et, pour tout dire, pas du tout intuitif. Demandez l’aide de votre revendeur.
Le dessus est bien rempli avec deux boutons destinés à déterminer finement l’impédance de charge des cellules MC (bobine mobile, ça aussi on l’a expliqué) et 5 clefs pour des ajustements divers (dont le contact, un bon vieux on/off à l’ancienne). Pour une fois, les réglages sont très accessibles !
Et puis deux « soucoupes » en surplomb qui entourent le sommet apparent des deux tubes de sortie. Oui, les sorties sont à tubes.
Pour le reste de la technique, allez sur le site du fabricant ou du distributeur. Non mais oh, eh, hein, bon…
226 x 78 x 262 (hors tout), quand on vous dit qu’il est petit ! On pourrait le cacher facilement, mais non, on aura envie de l’exhiber !
L’alimentation est séparée, en l’occurrence un transfo assez banal, mais je crois qu’on peut adjoindre au petit joujou l’alimentation universelle de la marque, appelée LPS, nettement plus encombrante. Connaissant l’apport qu’une alimentation sophistiquée peut apporter, c’est un excellent moyen de faire progresser son installation.
Wouaouh, je n’ai jamais fait aussi court !
Après tout il y a un photographe talentueux dans l’équipe. Les photos rendent parfois les mots superflus. Sachant qu’on s’interdit d’ouvrir les appareils pour les photos. On trouve ça vulgaire… Car seul le résultat compte. Cliché oratoire agaçant pour notre photographe.
L’écoute a été effectuée via 3 platines et 3 cellules : Pro-ject Xperience SB DC + cellule MC Hana SL, Michell TechnoDec + TecnoArm + Hana EL, Michell Orbe + Sorane SA-1.2 + Lyra Kleos (excusez du peu pour cette dernière : nous avons le sens des proportions).
Amplificateur Grandinote Shinai (nous confirmons le sens des proportions), Accuphase E380, Exposure 2510, enceintes Fyne Audio F500, Atlantis Lab AT18 Pro (qui mériteront un BE si Dieu est d’accord) et Mulidine Cadence « ++ ».
Câbles Absolue Créations, Kharma, Neodio, Legato, MudrAkustik.
Quelle horreur que cet inventaire… Xcusez-moi.
Le prix : 1350 €
L’alimentation optionnelle : 1250 €
RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL :
Il y a quelque chose de délicieux dans la manière dont ce joli préampli phono louvoie dans les timbres du New-York Philharmoniker (ach ????) Philharmonic plutôt ? Allez d’accord !… sous l’autorité singulièrement* délicate de Pierre Boulez (CBS 1977) nous offrant une approche de Verklärte Nacht créant l’académisme d’une œuvre de jeunesse de Schoenberg (et ça s’entend : Arnold n’a pas encore sombré dans l’obsession réformiste et baigne même dans le romantisme). L’E-Glo (Petit) convoie la poésie de l’ensemble et, comme Boulez, ne cherche pas une lecture au microscope mais laisse se déployer des belles couleurs tendrement éclairées.
Fluidité et ductilité des teintes, tendance édulcorées, créent un climat léger, où la finesse prend le pas sur l’incarnation. La densité - cohérente, à défaut d’être la plus organique qui soit -, procure une heureuse compréhension des matières et quelques effets boisés particulièrement agréables.
L’émouvante voix rauque de Marianne Faithfull dans la reprise de « The Ballad of Lucy Jordan » (1979, Island) est concassée à souhait et nous entraîne dans le sillon émouvant (ah ah, jeu de mots) de la détresse d’une femme ordinaire, totalement habitée dans ce superbe moment de musique où l’interprétation prouve combien les moyens vocaux déployés par tant de chanteuses contemporaines sont vains face au saignement du cœur si naturel de Marianne. E-Glo souligne aussi la subtilité d’arrangements aux synthés et boucles si simples en apparence.
Rien à dire sur l’équilibre tonal. On le vérifiera sur « come with me » de Tânia Maria (The Real Tania Maria : Wild en 1985), concert débridé où la basse trapue de John Peña talochant plus vigoureusement encore que Marcus Miller prend, sur de nombreux préamplis-phonos, des proportions de diplodocus balourd**.
Avec notre copain du jour, l’EAT Iglou petiot, cette basse cogneuse comme un « sledge hammer » est parfaitement en place tonalement et, à défaut de ressentir la robustesse étourdissante qu’on sait pouvoir espérer de la tonicité de l’album, l’énergie ne s’englue pas un instant dans une mollesse exaspérante ou un flou artistique antiartistique. La voix rieuse de la brésilienne est moins flamboyante que parfois mais toujours aussi joyeuse et entraînante…
Félicitations !
Timbres et équilibre tonal
SCÈNE SONORE :
Deuxième critère sur lequel E-Glo petit petit est un bon élève. A preuve, il saura suivre aisément les qualités diverses des combinaisons platine/bras/cellules utilisées et, sur la plus stable d’entre elles, ouvre un paysage large et concrètement inscrit dans une profondeur respirante - pas mensongèrement panoramique - sur le dernier mouvement de Schéhérazade (Opus 35 de Rimski-Korsakov (débrouillez-vous avec l’orthographe. Sinon : Никола́й Андре́евич Ри́мский-Ко́рсаков***) par Fritz Reiner (avec le CSO en 1960) poignant à souhait dans Fête à Bagdad - La Mer - Le Vaisseau se brise sur un rocher surmonté d'un guerrier d'airain (Allegro molto - Vivo - Allegro non troppo maestoso) (quitte à être précis, autant assumer, non ?). Les grandes vagues des généreux pupitres du Chicago SO, peignant un paysage dantesque, aussi bien que le retour à l’intimité délicieuse du Premier Violon crépusculaire, circonscrivent des dimensions invariables de l’espace.
L’ampleur n’est ni exagérée ni répétitive puisque sur le disque nettement plus cocoonesque de Patrick Watson Adventures in your own Backyard (2012), tout en douceur mais d’une scénographie topographique, la spatialisation oscille de très resserrée sur les plages minimalistes à aérée sur les passages plus toniques ou plus atmosphériques. Exercice bien significatif car placer précisément en 3D les intervenants dans une ambiance aussi artificielle, ouatée et diffuse, n’est pas donné à tous les challengers.
RÉALISME DES DÉTAILS :
Chouette moment passé en compagnie de King Crimson avec la deuxième face, si lyrique et parfois entortillée de Lizard (1970), flûte, saxo, cor, hautbois etc. etc. et bien sûr guitares, Mellotron, basse, batterie, disons un orchestre complet, dans des ballades heurtées d’accidents rythmiques énervés et inspirés. Ce foisonnement est un vrai piège car la prise de son n’a pas cherché des reliefs marqués, mais une perspective épanouie. Cet album est - à bien y réfléchir - très à part dans la musique de King Crimson, la fin d’une époque pour évoluer vers une structuration rythmique sous formes de blocs, plus ou moins longs mais très charpentés. Le petit E-Glo s’en sort dignement, soulignant particulièrement le sens des nuances de modulations. Il colle à la peau de l’opus là où il sera moins à l’aise dans la charge apparemment désordonnée de The ConstruKction of Light (2000) d’une formation finale du Roi Pourpre. Mais quel système peut l’être ? D’autant que le pressage tardif de 2019, prétendu audiophile, n’aide pas beaucoup. Pourtant, même sur ce total bazar rythmique, dissonant et emberlificoté, la douceur d’E-Glo évite toute dureté ou crise de nerfs par extractions anarchiques de telle ou telle zone d’infos.
Là encore, ce mimi préampli-phono revendique une cohérence d’analyse sur un large spectre, sans jamais perdre sa tranquille mansuétude.
On confirme la sensation d’un velouté permanent où jamais la moindre zone de résolution n’attire l’oreille vers un quelconque artifice via l’exemplaire proposition de la Sonate n°2 « Marche Funèbre » de Chopin par Samson François (Columbia 1965). Moi qui ne suis pas un grand fan de Chopin, c’est une de ses œuvres (avec les Etudes ? Et les Nocturnes ?) qui m’obligent à relativiser mon verdict snob. Peut-être du fait de la sensation curieuse que cette sonate regroupe plusieurs facettes un peu désordonnées du Polonais ? Ou que le dernier mouvement, après la ô combien solennelle « Marche Funèbre » donne l’impression d’une étrange poursuite entre les deux mains si parfaitement coordonnées par le pianiste français ? Qu’importe, E-Glo Petit, par une honnêteté de lisibilité permanente, respecte un phrasé exceptionnel quitte à éroder discrètement la perception du clavier sous l’appui, en prolongeant en revanche longuement notes et réverbérations.
QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE :
Côté swing en Soul-Jazz et Hard Bop, Jimmy Smith (The Cat, 1964, enregistré par Rudy Van Gelder, Kenny Burrell à la guitare et je ne cite pas la liste intégrale des talents réunis) n’a rien à prouver.
La plénitude sonore, la densité des instruments sur cette belle gravure est adroitement transmise par E-Glo Petit, même si le swing est un peu simplifié ; ou, plus exactement : sur un disque qui n’en manque pas, le groove ne suit pas le déhanchement permanent, très souple, félin (évidemment) qui est aussi un hommage à Alain Delon, quand même (Delon’s Blues), figure féline s’il en est à l’époque… Si le relief visuel est au rendez-vous, celui de l’engagement des corps mouvants l’est moins
.
Constat renouvelé via le très spécial album concocté par Trevor Horn pour Grace Jones, Slave to the Rythm, dans la version incluant des extraits d’interviews où les éclats de rire rauques de l’exubérante jamaïcaine mordent l’atmosphère (et je sais de quoi je parle : je l’ai rencontrée ; égérie de quelques grands couturiers ou photographes ! (Oui, c’est de la frime. Sauf si je vous racontais aussi les circonstances)), dans le titre éponyme, tournerie pour le moins structurée, où la ritournelle est parfois bloquée par des breaks remarquables (dont un génial riff de guitare, très bref, fait à la manière des Stones !), E-Glo Petit maintient les arrangements complexes à la ZTT dans une énergique lisibilité qui ne déraille jamais ; mais, là encore, on sait pouvoir espérer un swing plus impliqué, entrelaçant mieux les nombreuses couches du mixage : on a entendu Diva Jones mieux exprimer musicalement ses mâchoires carnassières éclatant de mille soleils sous le talent superfétatoire de Jean-Paul Goude… Que j’ai connu aussi, mais bon, c’est pas pareil.
Ce type de déficit tient à pas grand-chose ; or, c’est essentiellement pour connaître un ou deux préamplis plus folâtres dans une gamme comparable (un en fait, au milieu d’un si grand nombre !) qu’on émet cette réserve, puisque comme ça, dans l’absolu, on ne ressent pas vraiment un manque.
Car on est amplement séduits à l’écoute par exemple des LaSalle dans le Quatuor n°2 Op 15 (DG 1978) de Zemlinsky, le mouvement rapide (« schnell », ja genau !) où les croisements presque affolés des lignes dissonantes se succèdent à un rythme effréné d’une netteté dynamique et d’une vitalité enthousiasmantes.
EXPRESSIVITÉ :
Test impitoyable, Marilyn Monroe roucoulant, jouant, incarnant « My Heart belongs to Daddy » (1960) où la divine Norma Jean brûle 60 kgs (à peu près, elle a connu diverses époques)**** de pure volupté, insufflant coquinerie et même indécence friponne à un texte déjà passablement ambigu. On reste un peu sur sa faim ici (si j’ose dire) par l’impression que l’espièglerie ravageuse est assagie, les sourires virginaux ou boudeurs ou aguicheurs s’uniformisent tels les si merveilleux vibratos que la sous-estimée chanteuse glisse aux moments les plus improbables… Ses compagnons de jeu (quel orchestre, quelle maestria !) eux aussi éblouissent, moins triomphants que parfois sur ce redoutable morceau. De musique.
Bien sûr, on acceptera le prix de l’appareil et pourra parier sur un relief organique plus imprégnant via l’alimentation optionnelle.
Ne donne pas qui veut le sourire à Marilyn, femme sensible et malmenée s’il en fût ! Et il en est.
Mais on ne l’avait pas pour le test. La super alim… Oups, j’admets que mon enthousiasme est amphibologique.
De retour sur la Sonate de Chopin par Samson François, on est moins frustrés (oui, bon, personnellement je penche du côté Dalila…) car la délicatesse toute en grâce fait oublier la perception moins personnifiée du musicien en chair et os derrière son clavier.
PLAISIR SUBJECTIF & RAPPORT QUALITÉ/PRIX :
C’est là que les quelques bémols au cours du texte prennent un éclairage différent parce qu’on ne s’est pas ennuyé une seconde avec ce petit joujou et on a multiplié et enchaîné les albums sans chouiner ou renâcler, séduits par cette féminité raffinée.
En ajoutant que c’est un petit objet coquet que l’on aura plaisir à poser à côté d’une belle platine, on ne voit pas grand-chose à ajouter dans ce chapitre : prix justifié.
Et si l’on réfléchit évolution dans le temps, une logique par deux paliers de dépense, via l’alimentation LPS, peut-être l’investissement change-t-il totalement la logique de l’objet.
https://www.europeanaudioteam.com/
* pourquoi singulièrement ? On n’est pas encore dans la tendance du grand chef français à éradiquer le pathos ou le sentiment au profit d’une précision au compte-fils de la partition. Alors que le même homme, compositeur et « musicologue » est, à la même époque et depuis longtemps, un dictateur de la vérité unique de la modernité musicale.
** Diplodocus balourd ? Mmmhhh ? Serait-ce une redondance ? Non !
Voilà, c’est dit.
*** pour toute contestation, adressez-vous au patron.
**** à en croire la biographie de Larry Schiller. Mais je vous conseille aussi le curieux roman de Philip Kerr (ça fait deux fois que je le cite) : Impact