à l’oreille





Isis IIR - Pascal Louvet
La compréhension des musiques est un plaisir direct sur les Isis, loin de toute cérébralisation. L’Isis est joyeuse !

Par LeBeauSon - novembre 2017


Au risque de paraître légèrement chauvin, nous allons à nouveau nous pencher sur une marque française.

Que les choses soient claires : c’est avant tout une question de rencontres, de réponses, de hasard.
Pascal Louvet, par exemple, est de ces marques pourtant séculaires qu’on peut aussi bien ne jamais croiser tant elle est discrète, limite régionale.

LBS PLouvet Detail 710X500

Ainsi, quand on nous en parlait, c’était généralement pour vanter le talent d’acousticien du patron, les mérites musicaux de ses enceintes et pour sourire complaisamment de l’insuffisance des finitions, trop « artisanales », faiblesse devenue handicap au-milieu d’une concurrence innombrable et diverse qui n’a souvent que l’argument de la plastique vertueuse et du vernis pour exister… Qu’importe, l’apparence, indéniablement, ça compte.

Mais nous retenions quand même dans un coin de mémoire le respect reconnu aux créations Louvet pour leur pertinence «musicale», terme un peu fourre-tout soit, mais derrière lequel nous sentions une agitation mélomane.

Il faut reconnaître que lorsque nous avions écouté à Munich il y a deux ans une paire d’Isis un peu revue pour Neodio sur le stand du même nom, nous avions été portés par la musique et amusés par les approximations de la laque. Mais, ça chantait !

Bien sûr, l’écosystème Neodio autour des électroniques à 39 000 € pièce ne permettait pas forcément de faire la part de chacun, car on devinait facilement le potentiel solide du lecteur CD Origine et du proto d’amplificateur Origine. Pour autant, l’écoute un an plus tard sur le même stand avec des enceintes nettement plus ambitieuses n’apportait pas la même fraîcheur enjouée.

Donc, lorsque nous avons eu la proposition d’écouter des Louvet dans un environnement que nous connaissons, inutile de dire que la réaction a été : 

Youpi !

Ce sont donc les Isis IIR que nous allons commenter. Précision utile car nous avons aussi pu découvrir les bibliothèques EloquenSe, décorée de leur Fleuron Doré tout récent, jouissives, assumant sans vergogne un parti pris, idéal synthèse de flagornerie raffinée et justesse expressive, bien placées à 2 800 € la paire sans pied ainsi que le modèle anniversaire PL40 dans les 7 000 €, exercice de style technologique surprenant. Nous aurons l’occasion d’y revenir


Parlons d’Isis, version IIR.

La haute colonne étroite que nous avons sous les yeux, si elle ne brille pas d’un éclat particulier, est élégante de proportions, le placage bois est très correct, l’essence choisie un peu tristounette - Pascal Louvet proposant cependant une palette large de variétés -, le socle noir s’il peut poser question esthétiquement apporte aussi une réponse rassurante à la stabilité parce que 22 cm de large pour 132 de haut, ça fait un peu frémir.

Pas de pointe ou de cône, le patron s’y oppose, il conçoit ses charges sans artifices dit-il.

Mouais.


En revanche il accepte l’idée d’un Neodio B1 posé au sommet de l’enceinte.
Tout pour plaire à Madame…

Un cache recouvre intégralement la façade. Ainsi se retrouve-t-on face à un objet classique par la présentation et moderne par les proportions, pas de quoi s’extasier mais pas non plus de quoi renâcler.

Le prix étonnamment bas (moins de 6000 € la paire) oblige à réfléchir, surtout quand on découvre que l’enceinte inclut par moins de 5 transducteurs, deux HP graves de 17 carbone chargés par une ligne (ah !), deux médiums de 13 cm kevlar et un tweeter magnésium, tous français.

Une 3 voies 5 haut-parleurs, ça peut rendre un peu méfiant, pas vraiment notre truc.

Mais évitons de préjuger : Musique !

LBS PLouvet 2.2 710X500

Caractéristiques techniques

Nombre de voies : 3

Principe de charge : Double Bass-Reflex + Ligne acoustique

Eléments :   2 boomers 17cm carbone

2 mediums 13cm Kevlar

1 tweeter dôme accordé

Niveau d’efficacité : 91db/1W/1M

Bande passante : 30-20 000hz

Puissance admissible : 100W

Impédance : 4Ω

Dimensions (cm) : H132 / L22 / P32

Poids : 32 kg

Garantie 5 ans

 

RICHESSE DES TIMBRES & ÉQUILIBRE TONAL

Première (excellente) surprise : les timbres respirent, pétillent, libérant une sensation d’aération très désaltérante qui pourrait amener à se poser la question d’un équilibre tonal un peu surprenant au premier abord, car la finesse exquise des couleurs et matières incline à la perception initiale d’une anatomie diaphane…  Or, à l’arrivée, la balance tonale est respectée à condition de ne pas se tromper dans l’association avec les électroniques (on peut détecter une légère tendance montante sur un ampli un peu maigre en énergie ou densité) et d’être attentif au placement des fines colonnes.

Une fois de plus, le placement standard voulu par les préceptes de la Haute-Fidélité dominante, à savoir écartées et parallèles, est une mauvaise idée. Les Isis, comme beaucoup d’enceintes, apprécient d’être très pincées, le cœur des notes, la richesse harmonique, la scène prenant alors leur pleine consistance.

Un aigu fourmillant et qui file haut, un grave défini et réactif, à défaut peut-être de descendre très bas, ne souffrant d’aucune surcharge pondérale en tout cas.

Sur les passages murmurés ou les portions de discours retenues, les timbres s’authentifient avec une précision souvent bouleversante, agrippés sur une définition de la « matière » très très étonnante, très rare, une identification affinée du matériau spécifique de chaque instrument interdisant de confondre le cuivre d’un cor avec celui d’une trompette, soulignant le timbre par une variation des rutilances inusitée. On sent presque des natures différentes du cuivre (sur les cuivres) ou du bois. Couleurs de la matière j’insiste, au-delà de la couleur des sons, celle des harmoniques, donc des timbres.

Peut-être ce caractère très spécifique se fait-il en négligeant modérément le grain, le noyau, qu’importe, il est porteur de frissons garantis.

Car une section de contrebasse fait apparaître une rangée d’instruments et pas un amalgame d’objets, les lignes synthétiques sur de l’électro renvoient quasiment à la source électrique du signal (un ressenti déstabilisant mais très enrichissant qu’on ne constate que sur de rares grands systèmes), les bois des violons révèlent des tonalités variées, on en devine quasiment le vernis, et les chanteurs ne peuvent rien nous cacher de leurs petits trucs, avec parfois peut-être une tonalité un peu plus claire que d’habitude. Mais vaut mieux ça que l’excès charnu…

RÉALISME DES DÉTAILS

Ce sens de la matière très atypique est très difficile à appréhender car il semble révélé par une vision « en creux », sorte de gouge qui explorerait le matériau de l’instrument, au profit d’une lisibilité digne d’un moniteur mais accompagnée toutefois d’une substance délectable en partie par le soutien du registre grave qui définit le corps et le cœur de la musique avec un rien de décalage tonal mais sans aucune faille, aucun manque dans l’homogénéité limpide. Car la transparence est indéniable, liée à une vivacité des attaques parmi les références, éclairant la musique d’une luminosité panoramique,  révélant les paysages derrière une vitre particulièrement propre. Ne vous trompez pas sur l’image de la vitre : la hifi est une fenêtre plus ou moins large dont la vitre est plus ou moins propre, découvrant un paysage plus ou moins tronqué, et les systèmes qui permettent d’ouvrir la baie pour pénétrer sur la terrasse où sentir l’herbe sous les pieds sont rarissimes.

La transparence des Isis n’a rien à voir pour autant avec la fausse résolution de beaucoup d’enceintes qui soulignent des détails par une mise en lumière factice, par extraction.

L’Isis est printanière, la musique s’écoule avec fluidité, les fins de notes sont d’une élégance particulièrement fine. Tout ceci avec des amplis peut-être légèrement surévalués en termes de budget lors de nos tests, l’un à tubes l’autre à transistor classe A, mais l’enceinte le mérite.

Sur les forte ou à niveau (relativement) élevé, on ne perd rien du plaisir, pas de projection ou de vulgarité, même si on détecte un léger amaigrissement de l’image, comme un allègement de densité sans conséquence, car l’intelligibilité ne varie pas…

Précaution encore à ce propos quant aux choix des câbles par exemple. Un essai avec une ligne des câble déjà haut-de-gamme et de qualité mais qui a une légère tendance à concentrer l’énergie, caractère bien utile pour doper pas mal de systèmes un peu dormants, s’est révélé un faux ami pour l’Isis qui n’a pas besoin de ça et pourrait même dès lors devenir un peu insistante dans le haut du spectre sur les forte.

D’autant qu’il faut accepter qu’elles ne sont pas des cogneuses : très très rapides, les impacts de percussions ou fronts de transitoires sur certaines attaques de cuivres ou de cordes sont parfaitement respectées, mais elles ne sont pas du genre à donner des coups dans le bide : on vit la musique par la vitalité enjouée, pas par le choc au plexus. Et c’est très bien ainsi.


SCÈNE SONORE

Si ambiances et réverbérations sont très nettement définies, si la stabilité latérale sait installer un positionnement cohérent, le réalisme des perspectives ou reliefs n’est pas le point fort des Isis sauf peut-être à s’éloigner un peu.

Est-ce gênant dans l’absolu ? Non, car à côté de ça, les Isis procurent un sentiment de profondeur bien agréable, ne serait-ce que par l’aération, la respiration.


QUALITÉ DU SWING

Aucun souci de ce côté : ça balance, ça swingue et même ça groove à un point étonnant. Aucune sensation d’une scansion mécanique sur quelque musique que ce soit, et un 4ème quatuor de Schoenberg (version du Gringolts Quartet), pourtant pas un patron de la baguenauderie, est enlevé avec un brio chassant toute austérité, les pieds tanguent facétieusement en écoutant 3rdeyegirl et quand Madeleine Peyroux chante Tango Till They’re Sore, rien de la malice, des sourires et des glissades rythmiques qui filent le frisson ne peut nous échapper, tandis que se dandinent une contrebasse délibérément sur le fil de la caricature et une guitare aux déhanchés appuyés.

La compréhension des musiques est un plaisir direct sur les Isis, loin de toute cérébralisation.
L’Isis est joyeuse !


PERCEPTION D’ENSEMBLE

Si nous aussi devions distribuer des Tartempions d’Or, il est très probable que l’Isis IIR en recevrait un car les « réserves » qui émaillent cette écoute n’en sont pas : elles sont une description de ce qui à l’arrivée fait le charme et même la personnalité très très attachante de cette enceinte, radieuse, précise, énergique et dotée d’une notable expressivité.

Or, ne rêvez pas, aucune enceinte, aucun appareil ou accessoire hifi ne peut prétendre à une parfaite neutralité ou transparence : cette perfection n’existe pas et sont souvent définies comme neutres des appareils qui manquent de tout, le plus souvent de vie.

Et à choisir une enceinte dans l’acceptation de compromis inévitables, nous favoriserons toujours celles qui transcrivent l’histoire racontée par les musiciens au plus près de leur talent, de leur âme, ce qui suppose bien sûr que les particularités du transducteur ne nuisent en rien à cette intelligibilité-là.

C’est le cas avec l’Isis IIR.

Pour exprimer une pensée plus personnelle, nous regrettons que Pascal Louvet ne pousse pas plus loin l’objet, techniquement et esthétiquement, ce qui lui permettrait de le positionner à sa juste place : celle d’une enceinte dans les 10 000 €, sans blague.

Banc ecoute