SÉLECTION DE DISQUES





St Vincent – All Born Screaming / 2024 Total Pleasure Records

Par LeBeauSon - juin 2024 - dans le BE de l'intégré Neodio TMA


Lady Annie Clark a décidé de produire elle-même et intégralement le 7ème volet de ses sculptures en studio : l’incandescent ? All Born Screaming ; assistée par Cate Le-Bon.

Excellente initiative : je ne suis pas loin de penser que c’est là son meilleur album (mmhhh, pas facile à déterminer à la réflexion) … paradoxal, en mouvements « aléatoirement structurés » d’oxymorons musclés comme on les adore (et quel sens du swing !), en fulgurances d’accompagnement ou d’écriture rythmique aussitôt chassées par de nouveaux éclats.

Album plutôt sombre, parfaitement ordonnancé autour de scénettes diffuses, toutes portées par l’inimitable et sidérant phrasé félin et groovant, intimidant et érotique, vigoureux ou vibrant d’Annie Clark, baguenaudant dans des univers variés, parfois aussi planifiés que l’Urbanisme Morphologique, costauds qu’un grizzly affamé, engageants et transversaux que les sourires carnassiers de Grace Jones, tordus ou violemment angoissés que les errances de Trent Reznor dont la pétulante Dame Suprême métamorphose l’univers poisseux…

Sombre opus, certes, mais ce serait sans compter sur l’imagination barrée de l’icône pop/rock alternatif (ça, en effet, ce n’est pas de la zizique déroulée au kilomètre en continu !) pour, avec son arrogant et si touchant sourire en coin - que sa musique exprime tout autant que son visage - dérouter la noirceur et la diriger vers un final ouvert sur l’illumination de l’espoir. Une flèche artistique illustrant le paradigme de l’Ombre et la Lumière jungienne…

En effet, passée ce qu’on pourrait considérer comme une légère baisse de tension (pression ?) au 3e quart, plus aquarelliste, la piste finale éponyme, débutant par une pop légère et engageante pour, sans transition, évoluer vers une psalmodie en obsessionnel canon de progression déroutant, fascinant, puissant, purement génial, s’affirme à la fois ensorcelante et glaçante, plantant un couteau ensoleillé dans le cœur de ceux qui ont douté un seul instant de la capacité de la déesse Annie Clark à maitriser son sujet de bout en bout.

42 minutes beaucoup trop courtes, si intenses et cannibales !

La production, appliquée alors que faisant feu de tout bois (et cuivres en l’occurrence, singulière introduction de Violent Times), les frappes herculéennes de Dave Grohl (ou Josh Freese, pas poltron non plus), les touchers imaginatifs de Mark Guiliana ou Stella Mozgawa imbriqués parfois au cœur d’une même piste, les nappes d’infra en sous couches et une dynamique colossale parfaitement exploitée pour approfondir la dramatisation ou gémir une douleur cachée, font de ce moment un édifice artistique pur et simple, dédié aux déstabilisations, à l’intelligence, à la bourrasque prolixe, à une forme de folie décomplexée.

N’oubliant pas que notre site est dédié à la qualité de la reproduction sonore, comprenez qu’il faudra – autant que possible car, quoi qu’il en soit, il faut découvrir ce grand moment - une installation à même de chérir cette tortueuse et conquérante jouissance, en dévoiler les tournures et tourments, les dérapages contrôlés et excès exubérants sans ornementer les couleurs, la saveur d’une sauce de Saucier dosée d’ingrédients sorciers, honnête maître d’hôtel qui ne conteste jamais et transcrit poétiquement les choix du Chef.

St Vincent est incontestablement une figure de proue du 21e siècle, sa rouerie habile lui permettant aussi bien de revendiquer une culture fashion en pâture au magazine Numéro (mais creuse-t-il si profondément ?) que les meilleurs pages des critiques de musique pas coincées dans la paresse étouffante du mainstream.

De ces frontières floues qui nous passionnent.

Banc ecoute