SÉLECTION DE DISQUES





King CrimsonThe ConstruKction Of Light – 2000 Virgin

The ReconstruKction Of Light – 2019 Discipline Global

Par LeBeauSon - décembre 2024

Quel GPS est capable de nous guider dans l'excentrique mais absolument géniale suite « Larks’ Tongue in Aspic, Pt. IV » de King Crimson extraite de The ConstruKction Of Light, où la formation honteusement inventive (ça n’arrête pas, ruptures ou décalages rythmiques internes, désynchronisations puis resynchronisations se succédant comme un ballon valdinguant dans les chutes du Niagara, virtuosités jamais isolées mais osmotiques dans la fusion irradiant le cœur atomique d’Iron Man de musiciens en roue libre et pourtant embastillés dans une architecture surréaliste inexorable), ...

... où la découverte d’un Pat Mastelotto frappadingue - que l’on sait capable d’un si doux touché (album Damage avec David Sylvian) - ou d’un Trey Gunn éruptif – alors que d’un si grand lyrisme dans le même Damage - deviennent dans ce tardif ouvrage de King Crimson (avant dernier album studio, je crois) pour l’un une pugnace mitrailleuse lourde associée à un pied de grosse caisse aussi précis qu’un RPG, et l’autre un marteau piqueur voltigeur.

Bonne chance à votre système de reproduction pour décrypter, dans ce titre abondant et intransigeant, la glossolalie apparente de la base rythmique de la formation de ce qui peut, à l’extrême, devenir un bulldozer bourrin destiné au versant négatif du Hellfest.

Ou, plus difficile pour démêler l’hallucinante virtuosité d’Adrian Belew (à l’exception du solo délirant) de celle de Robert Fripp (qui, généreusement, accepte de rester en arrière-plan, sachant qu’il est le boss et n’a plus rien à prouver).

Confrontée à une charge musicale aussi complexe, la hifi majoritaire se mélange souvent les pinceaux dégobillant un salmigondis cafouilleux (redondance bien en dessous de l’ardente intrication du morceau), ne laissant pas les nuances fines, tout le spectre des matières, se déployer pleinement.

Dans le cadre de ce constat, la comparaison entre The ConstruKction of light en HR et The ReconstruKction of Light en vinyle - et sa jaquette façon Edward Hopper - est particulièrement réjouissante.

KC Light

 

 

 

 

KC Relight

 

 

 

 

 

 

 

 

Théoriquement, c’est le même album. Mais c’est pas le même.

Le second, pas disponible en fichier je crois, utilise la base du premier sur laquelle Pat Mastelotto, le batteur, a revu les parties batteries et le mixage avec la bénédiction du patron Robert Fripp.

Mastelotto a-t-il pris conscience que – principalement sur la piste Lark’s Tongue in Aspic IV – son mode mitraillage continu débordant de furie un assaut d’escadron de Huey au Vietnam peut conduire à l’indigestion ? De plomb.

Sa nouvelle partition est considérablement plus aérée, plus créative à tout prendre, moins virtuose soit, civilisant l’ensemble – sans le policer, ouf - dégageant plus de place au grandiose solo d’Adrian Belew à son meilleur et aux riffs énergiques de Robert Fripp ou au raffinement de jeu de Trey Gunn que le nouveau mixage semble recomposer.

Un exercice pédagogique pour comprendre comment la sauce d’un mixage peut transformer les ingrédients d’un disque copieux, soudain moins sophistiqué et tortueux qu’alambiqué et dense, d’une maturité artistique à son apogée.

Car si je n’ai parlé que d’une piste – la plus concentrée en énergies contradictoires – l’ensemble de l’album, varié, contrasté, certes un peu froid et implacable, constitue un des meilleurs* d’une formation historique, à géométrie variable (jusqu’à trois batteurs sur scène) qui compte à son actif des centaines (milliers ?) de concerts, beaucoup étant disponibles en disques ou fichiers.

Rappelons en effet que King Crimson est un groupe protéiforme, considéré comme un des fondateurs du Rock Progressif (on aurait aussi pu dire un pillier du jazz contemporain) qui a vu passer depuis In the Court of the Crimson King (1969) d’immenses musiciens parmi lesquels Greg Lake, Bill Bruford, Tony Levin, John Wetton, Gavin Harrison…

* les puristes vont grogner. Chacun ira sans doute de son époque préférée du groupe. Je peux comprendre, il n’y a en effet pas grand-chose à jeter de la grande couture dans la boutique de Fripp.

Banc ecoute