SÉLECTION DE DISQUES





Sergueï Prokofiev – Symphonie n°2 Opus 40

Guennadi Rojdestvenski - Orchestre Symphonique de la Radio de l’U.R.S.S – 1962 ou 65 ? Melodiya

Andrew Litton – Orchestre Philharmonique de Bergen – 2020 Bis

Par LeBeauSon - décembre 2024


Comment décrire les assauts horrifiques de la 2e Symphonie de Prokofiev dans la captation aigre et abrasive, chauffée à blanc au cœur des fournaises de fonderies industrielles et gravée au fer rouge par Guennadi Rojdestvenski à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio de l’U.R.S.S (Melodiya (1962 ? 1965 ?) vinyle, excellent pressage Chant du Monde) ou plus ample mais moins incandescente ou griffue d’Andrew Litton dirigeant Le Philharmonique de Bergen dont la dynamique est évidemment plus James Cameron, homogène et maitrisée.

La sauvagerie de la version russe est éprouvante nerveusement, par sa tension dramatique qui tourne au film d’horreur expressionniste allemand en Noir et Blanc, hyper contrasté, aiguisé par les prises de son soviétiques de l’époque où les micros étaient conçus par des fabricants de sabres.

Ce qui contribue à une version terrorisante, ancrée dans un passé où le stakhanovisme fanatique représente un idéal inexpugnable.

Proko 2 GR

 

 

De ce point de vue, la vision inexorable crachée par un ogre impitoyable, incorruptible, fondamentalement oppressif, architecturée par Rojdestvenski est probablement sans équivalent et par conséquent (du coup ?) indispensable. Sans être dupe du constat que l’âpreté de la captation surligne l’effroyable tension de l’interprétation.

Il faut reconnaître que cette 2e Symphonie Opus 40 relève du défi pour ses interprètes, chefs ou orchestres. Prokofiev propulse l’exercice à la limite du possible, martelant des rythmes obsessionnels tout en ouvrant cette charge vers de nombreuses possibilités de jeu à condition qu’il relève de la maniaquerie.

Certains fustigent l’orchestration, d’autres la louent.

Peu importe : l’imagination de ce Prokofiev-là annonce des moments majeurs à venir.

En outre, oser se gausser des variations de textures du deuxième (et dernier) mouvement me semble relever de la posture.

 Proko 2 Litton

 

 

 

Ainsi, en passant à Litton, la Symphonie de Feu et d’Acier tourne à la danse de salon ; j’exagère : la munificence orchestrale d’une version très occidentale transforme l’œuvre en poème symphonique, voire en pantomime façon Petrushka.

Pourtant, Litton révèle une finaude habilité à guider son orchestre vers des sonorités russes en quelques moments choisis tout en parvenant à raviver au cœur du déluge orchestral (destiné à être bruyant, somme toute) des subtilités de texture insoupçonnées et développer une réelle affection expressive pour le thème et les variations qui suivent en favorisant les cordes (option rare… Ozawa, peut-être, un peu contraint par la non-culture de cette musique du Berliner Philharmoniker ?). Et, quand il en estime la nécessité (à l’acmé brutal de la variation par exemple), il sait faire jaillir des geysers grinçants, brûlants ou glaciaux… Simplement, le chef (très) américain refuse de cantonner l’œuvre dans la glorification de la métamorphose industrielle soviétique imposée mentalement à l’époque de sa création, que Prokofiev, quelques années plus tard, désapprouverait.

J’ai cité Ozawa et le Berliner Philharmoniker. Je comprends que beaucoup contestent telle version, parfois trop « belle ».

Je ne partage pas cette perception, estimant au contraire que le Maestro Japonais (à propos d'Ozawa, je vous recommande une saine lecture : Murakami / Ozawa : de la Musique) a trouvé le moyen de tordre le bras à l’académisme institutionnel de l’orchestre en présentant une version d’une sauvagerie un peu cérébrale, soit, mais décryptant comme rarement l’audace créative – maladroite ? Excessive ? On s’en moque – de l’encore jeune Prokofiev.

Banc ecoute